Décryptage, Politique • 23 avril 2025 • Andye Ghon-ga
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Image source: Les Concernés
Un nouveau numéro du Café Citoyen a réuni plusieurs jeunes, figures engagées de la scène politique et intellectuelle guinéenne. L’objectif : dresser un état des lieux de l’opposition politique en Guinée, en interroger les limites, mais aussi ouvrir des perspectives pour l’avenir. Autour de la table, Saïkou DIALLO, Mamoudou DIAKITÉ, Mariam Chérif DIALLO et Aboubacar KABA ont confronté leurs points de vue sur l’évolution de la vie politique guinéenne, ses blocages récurrents et les leviers possibles pour une transformation en profondeur.
Une opposition en quête de cohérence
Dès les premières interventions, le constat est partagé : la vie politique guinéenne souffre d’un déficit de constance, de convictions et de vision à long termes. Saïkou DIALLO évoque une politique dominée par de la « transhumance et du clientélisme », c’est-à-dire le changement opportuniste d’alliances au gré des intérêts personnels. Il déplore par ailleurs, le non-respect des positions de départ, la trahison, par les politiques, de la parole donnée et la reproduction des maux contre lesquels ils disent s’être engagés, à savoir : la corruption, le clientélisme, etc. Pour lui, s'engager en politique devrait d'abord être un choix de valeurs, et non un moyen d’ascension sociale.
Mamoudou DIAKITÉ et Mariam DIALLO insistent de leur côté sur la récurrence des crises politiques, qui révèlent selon eux l’échec de l’apprentissage démocratique depuis l’indépendance. La Guinée, rappellent-ils, n’a connu que très peu d’alternances réelles, et les mêmes erreurs semblent se répéter à chaque cycle politique. L’un des symptômes majeurs : la difficulté à faire émerger une opposition crédible, structurée et porteuse d’un projet alternatif cohérent.
L’échec des politiques à impulser un véritable changement, stable à long terme
À la question de savoir si la Guinée est vouée à l’instabilité politique, les différents intervenants sont d’accord que non seulement l’instabilité politique n’est pas une fatalité pour la Guinée mais que le pays dispose de plusieurs atouts pour finir avec ses différentes crises.
A cet effet, alors que Saïkou DIALLO rappelle et insiste sur un « réel fonctionnement des institutions de la république et le respect de l’ordre constitutionnel » comme gage d’entérinement des crises ; Aboubacar KABA appelle plutôt à une prudence dans l’analyse du champ politique. Il invite à privilégier une approche nuancée et plus globalisée. Il explique par exemple que pour le coup d’État de septembre 2021, “ceux qui ont fait le coup d’État font partie de ceux qui ont contribué à la légitimation du troisième mandat”.
Le poids du multipartisme et la question de l’idéologie
Interrogés sur le rôle du multipartisme intégral dans la fragmentation du champ politique, plusieurs intervenants s’accordent à dire que ce n’est pas la pluralité des partis politiques qui pose problème, mais plutôt l’absence de régulation et de vision. La plupart des partis manquent de ligne idéologique claire, se construisent plus autour de figures individuelles que de projets collectifs, et participent malgré eux à un désenchantement démocratique.
Mamoudou DIAKITÉ rappelle que le multipartisme devrait être le reflet d’un pluralisme structuré, mais que dans le contexte guinéen, il s’est souvent transformé en « floraison désordonnée » de micro-formations sans réelle assise populaire. Ce qui, non seulement crée un bazar avec des formations politiques qui n’ont rien de concret à proposer cherchant à se construire sur des bases ethno régionalistes, mais aussi provoque la fuite du champ politique par la population. Il plaide pour une meilleure éducation politique des citoyens et une structuration plus exigeante des partis.
Pour Mariam Chérif DIALLO, on ne peut pas soutenir que le problème politique de la Guinée est lié au multipartisme, car le dire, c’est « remettre en cause le combat de toutes les personnes qui se battent pour la démocratie en Guinée ». Cependant, elle souligne qu’il faut reconnaitre que l’utilisation que font certains du multipartisme cause des problèmes. Le multipartisme est aujourd’hui en cause d’une cacophonie politique. Ce qui serait lié au manque de rigueur, de réalisation d’audit des partis politiques et de l’éducation des citoyens à distinguer les vrais des faux partis.
Une jeunesse tiraillée entre engagement et résignation
L’un des débats les plus vifs a porté sur la responsabilité de la jeunesse guinéenne dans la perpétuation de l’ordre politique actuel. Faut-il l’excuser pour son apparent désengagement, au nom des conditions socio-économiques difficiles ? Ou lui demander de faire preuve de plus de conscience et de courage politique ?
Pour Aboubacar KABA, l'État joue un rôle actif dans la dépendance économique des jeunes, rendant leur autonomie politique difficile. Mariam DIALLO s’inscrit en faux contre cette lecture, estimant que la dignité ne devrait pas être négociable, et que chaque citoyen, jeune ou non, peut faire le choix de s’engager ou non avec intégrité. Le débat met en lumière un clivage entre une approche idéaliste de l’engagement et une vision plus pragmatique des réalités sociales.
Quels repères pour demain ?
Le débat s’est conclu par une série de réflexions sur les enseignements à tirer de la pratique politique des deux dernières décennies. Tous s’accordent à reconnaître les espoirs trahis par la classe politique guinéenne, le déficit de renouvellement générationnel et l’inefficacité d’une opposition souvent plus tournée vers la dénonciation que vers la proposition.
Pour Mamoudou DIAKITÉ, le futur passe par une formation rigoureuse des élites politiques, une redéfinition de la culture démocratique et une rupture nette avec le clientélisme. Saïkou DIALLO plaide pour une opposition de conviction, fondée sur des principes clairs, même si cela implique de refuser certains compromis politiques. Mariam Chérif DIALLO insiste, quant à elle, sur la nécessité d’avoir une opposition forte même si cela n’est pas toujours garant d’une alternance crédible. Aboubacar KABA appelle à considérer la complexité du contexte guinéen et à refonder la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants.
Ce Café Citoyen aura donc permis de mettre en lumière les lignes de fracture mais aussi les convergences d’analyse parmi une jeunesse guinéenne lucide sur les impasses actuelles, mais encore en quête d’une stratégie collective pour transformer l’essai démocratique.
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