À la une, Afrique, Opinions • 4 septembre 2023 • Ali Camara
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Fidèle à son éternel désir d’ingérence dans les affaires intérieures des pays africains, l’État français, par la voix de son président, a récemment menacé de représailles un pays africain sur son propre territoire, en l’occurrence le Niger. Et ce qui est vraiment marrant – voire révoltant – dans cette affaire qui n’a pas encore livré ses derniers secrets, c’est que certains de nos frères Africains, apparemment plus royalistes que le roi dans leur attachement au rayonnement de la « grande France » aux dépens de leur propre continent, ont jubilé devant l’extrême condescendance de Macron et de toute l’élite politique et médiatique française. Tels de dociles « sujets indigènes » attachés à la métropole, ces frères francophiles semblent déterminés à rationaliser la politique française au Niger en la traitant de mal nécessaire – comme le faisait jadis Senghor devant la barbarie de la colonisation – face aux énormes défis sécuritaires et socio-politiques du pays.
On peut ne pas cautionner le coup d’État militaire orchestré au Niger ; avoir des arguments qui tendent à l’expliquer ou à le rendre compréhensif ; avoir des réserves à l’endroit de tout putsch, ou condamner avec la dernière énergie toute militarisation du pouvoir politique… Chacun, selon ses raisons, a le droit de s’exprimer sur la tragédie ou non, la nécessité ou non d’un retour de l’armée au pouvoir dans nombre de pays ouest-africains. Mais applaudir des deux mains la menace et la condescendance d’une puissance étrangère – quelle qu’elle soit – à l’endroit d’un pays africain quelconque, pour un africain, qui qu’il soit, c’est le summum de la bêtise et du désir de servitude.
Aussi, puisque l’argument de cette sottise consiste en la « lutte contre les coups d’Etat », il convient de noter ce dont le continent a vraiment besoin, ce sont des chefs d’Etat africains qui, démocratiquement élus ou pas, sont des pro-africains qui travaillent contre la pauvreté, partagent les richesses de leurs pays, et œuvrent à la réconciliation de leurs peuples. Pour le Sahel, le premier défi reste sécuritaire, étant donné la horde de terroristes déterminés à imposer leurs diktats dans ces pays où finalement le délitement de l’État a laissé place à la vendetta des uns contre les autres.
Quant à la force armée annoncée de la CEDEAO qui serait chargée de sauvegarder un quelconque acquis démocratique dans la sous-région en général et en particulier au Niger, nul besoin de rappeler qu’il n’y a jamais eu de démocratie armée. Les exemples d’intervention de forces étrangères dans les cas congolais, libyen ou encore afgan sont des illustrations parmi tant d’autres, d’autant plus qu’une telle force serait en dehors de la Charte de la CEDEAO et une violation en l’espèce de la souveraineté de ses États membres. Il appartient aux peuples de décider de manière souveraine (donc sans ingérence) de l’avenir politique auquel ils aspirent. Cette souveraineté n’est ni consécutive à une élection ni condamnée par celle-ci.
Aussi, dans un contexte de lutte contre les coups d’Etat militaires qui sont en réalité les plus visés par les critiques nombreuses, il faudrait tout aussi insister sur les viols conditionnels, le despotisme de nos chefs d’Etat « démocratiquement élus » et leur vassalité aux puissances étrangères, qui ne dérangeraient plus apparemment les tenants de la propagande démocratique. Et pour cause, leur surenchère politique au gré de leurs intérêts occasionnels voudraient effacer les causes profondes du mal pour pointer du doigt ses conséquences. Comme pour rappeler cette sagesse africaine – comment peut-on accuser notre point de chute en ignorant là où justement nous avons trébuché ?
Pour revenir au Niger, il est vrai que j’ai fait partie de ceux qui ont salué l’alternance au pouvoir entre Issoufou et Bazoum. Mais il convient de rappeler qu’à l’époque, ma démarche et celle de nombre d’observateurs africains – et guinéens en particulier – était essentiellement de démontrer au Président Alpha Condé qu’il pouvait choisir de sortir par la grande porte. De plus, même en évoquant le cas d’alternance démocratique réussie au Niger pour dissuader le président Condé, il ne nous a jamais échappé que Bazoum avait été élu de manière irrégulière, dans une élection où le parti au pouvoir a écarté son principal opposant pour légitimer le dauphin du Président Issoufou et où la fraude ne s’est pas fait prier.
Devenu président dans un contexte sécuritaire inquiétant, Bazoum n’a jamais su créer la confiance en son armée encore moins trouver des alliés prompts à aider efficacement celle-ci. Au contraire, il a participé personnellement à démoraliser ses troupes. On se rappellera à jamais de sa fameuse interview où il semblait suggérer que son armée était impuissante face aux groupes terroristes contre lesquels elle est pourtant censée se battre au quotidien, dans la sueur et le sang. Un tel aveu de faiblesse d’un Commandant en Chef d’une armée nationale éprouvée quotidiennement au front est impardonnable.
Nous savons aujourd’hui de sources abondantes et indiscutables d’où est venue l’instabilité du Sahel. L’on sait surtout que l’intervention de l’OTAN pour déloger Kadhafi, portée notamment par la France, n’était nullement guidée par l’objectif soi-disant d’établir la démocratie en Libye. Pour la France en particulier, l’intervention libyenne avait pour objectif de repositionner son armée dans ce qu’elle considère comme son pré carré afin de faire main basse sur la région et de préserver ses intérêts stratégiques et politiques – quoiqu’il advienne.
Dans un tel contexte, il faut avoir le courage d’admettre que toute présence ou intervention française dans le bourbier sahélien ne servirait qu’à prolonger la tragédie, ou à approfondir la fragilité sécuritaire, donc sociopolitique dont la France est la source et la garantie principale. Il faut être soit aveugle, soit naïf pour croire que le véritable objectif de la France au Sahel est de lutter contre les groupes terroristes qu’elle a pourtant elle-même armés et financés. La stratégie française en Afrique étant celle de la théorie du « chaos maîtrisé », il ne faut pas attendre de la France qu’elle œuvre à annihiler le mal dont elle est la cause et la principale bénéficiaire. Au contraire, l’objectif de Paris a toujours été d’endiguer le mal à moitié, de le maîtriser temporairement en vue d’être toujours utile à ses « partenaires africains » qui, à chaque fois qu’il est question de repousser les intermittentes avancées des groupes terroriste ou leurs attaques éclaires dans des zones supposées avoir été libérées avec le soutien de Paris, se voient ainsi obligés de faire recours au soutien logistique ou en hommes de leur allié français. C’est ce subterfuge qu’a compris l’armée nigérienne, et il ne restait qu’à le faire comprendre à son ex-commandant en chef qui n’en était pas un. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons principales qui expliquent la joie de l’écrasante majorité des populations nigériennes devant le renversement de Bazoum et le déferlement populaire contre la représentation diplomatique de la France pour dénoncer la volonté qu’affiche depuis Paris de renverser la tendance en faveur du président déchu.
Mais la jeunesse africaine se rappelle comme hier de l’intervention militaire de la France pour déloger Laurent Gbagbo et installer Alassane Ouattara. Nicolas Sarkozy, qui a longtemps nié que le pouvoir de Ouattara lui a été donné par la France, a récemment reconnu l’intervention des forces spéciales françaises dans l’opération de capture du Président Gbagbo en ces termes plutôt arrogants à la française : « On a sorti Gbagbo et installé Ouattara, sans aucune polémique ». Les jeunes africains se rappellent encore de plus de soixante années d’interventions militaires à tour de bras de la France en Afrique pour déposer les régimes qui ne lui étaient pas favorables, imposer des chefs acquis à sa cause et très souvent vomis par leurs peuples.
Le mercenaire français Bob Denard fait partie de ces hommes que l’Afrique n’est pas prête à oublier. Aujourd’hui, cette longue histoire de condescendance, d’arrogance et de paternalisme de l’élite politico-médiatique française à l’égard des peuples africains est la raison pour laquelle beaucoup en Afrique, même s’ils ne soutiennent pas la junte nigérienne, sont désormais prêts à la légitimer à partir du moment où la France montre des velléités de vouloir la dégager par ses propres soins.
C’est en tout cas le sens du communiqué conjoint des gouvernements maliens et burkinabé qui avertissent que « toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali» et entraînerait de sitôt « un retrait » de leurs pays de la CEDEAO, « ainsi que l’adoption de mesures de légitime défense en soutien aux forces armées et au peuple du Niger».
Les dés étant désormais jetés, la France a le choix entre la raison ou la bêtise. Dans l’un comme dans l’autre cas, le langage et la posture politiques qui sont les siens dans les affaires intérieures des pays africains et leur réception de plus en plus hostile par les masses populaires en Afrique témoignent de la mort annoncée, inévitable de la Françafrique.
Ali est diplômé en Droit des Affaires de L’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLC-S ). I...
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