À la une, Décryptage • 27 février 2025 • Ali Camara
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Ni Cellou Dalein Diallo, ni Sidya Touré n’ont acquis leurs résidences privées respectives de manière régulière. Le décret autorisant cette vente a été pris en flagrant délit de violation de la loi. Les conditions nécessaires pour qu’un domaine public de l’État soit transféré à son domaine privé et ainsi devenir accessible à la vente n’ont jamais été remplies. C’est d’ailleurs ce qu’a récemment souligné la Cour suprême à travers l’« exception d’illégalité ». En droit guinéen, l’exception d’illégalité permet à la Cour Suprême d’examiner la conformité d'un acte administratif au regard de la loi, même si cette question n’est pas directement soulevée par les parties.
Les implications juridiques des décisions de la Cour Suprême
Contrairement aux mensonges qui ont proliféré sur les réseaux sociaux ces dernières semaines, la Cour Suprême n’a pas eu besoin d’annuler les décrets de Lansana Conté. Le recours en annulation introduit par l’Agent Judiciaire de l’État n’a pas prospéré du simple fait que les délais de recours sont passés. En principe, le recours en annulation doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la publication, la notification ou la prise de connaissance de la décision. 19 ans après les faits, l’Etat guinéen a été débouté de ses prétentions.
Pour les non-juristes, le recours en annulation vise à obtenir l’annulation d’un acte administratif jugé illégal. Or dans ce cas précis, il est irrecevable en raison des délais prescrits. La Cour suprême s’est juste contentée d’invalider les titres de propriété, pris sur la base de décrets illégaux. Par cet arrêt du juge en dernier ressort, on sait clairement que les décrets n’ont jamais été attaqués à titre principal. En clair, la Cour suprême ne fait que dire le bon droit.
Si l’avis de la Cour suprême est sans équivoque en déclarant que les décrets sur lesquels se fondent Cellou Dalein et Sidya Touré sont contraires à la loi, il n’en demeure pas moins que c’est maintenant au Tribunal de première instance de Dixinn de juger sur le fond. Tous les yeux sont désormais rivés sur ce tribunal. Mais, rien que sur l’avis de la Cour suprême, l’opinion qui voudrait que le tribunal puisse aller au-delà est difficilement soutenable.
Car, au fond, il convient tout simplement de souligner que si tous les fonctionnaires d’État, hauts cadres et ministres ayant les moyens financiers et des liens privilégiés avec les chefs d'État successifs réclamaient les mêmes privilèges, l’État guinéen se retrouverait sans aucun domaine public, sans aucune résidence publique pour les agents de l’État. Il n’y aurait plus de résidence pour les préfets et gouverneurs de région, pour les ministres, Directeurs généraux ou nationaux. Il n’y aurait plus de cité ministérielle. De ce point de vue, il est essentiel que ceux qui détiennent le pouvoir et qui en bénéficient ne croient pas qu’ils peuvent tout acquérir, notamment en contournant les lois et les procédures qui régissent le bon fonctionnement de l’État.
La mémoire de Sékou Touré et la question de la propriété de Belle-vue
Pour celles et ceux qui voient en tout l’occasion de nous rappeler les querelles mémorielles, qui s’efforcent honteusement à comparer cette situation avec celle des cases de Belle-vue qui ont été retournées à la famille Touré, j’ai envie de rappeler que nos adversités politiques ne doivent pas être un horizon indépassable ; qu’il est bel et bien possible de ne pas être d’accord sur l’héritage politique de Sékou Touré sans tomber dans la diabolisation outrancière de l’homme. On peut bien avoir un débat sérieux sur son héritage sans sombrer dans cet art négationniste de nier l’homme d’État qu’il a été, de faire table rase de son sens historique du devoir et l’insondable intégrité dont il a fait preuve tout au long de sa carrière syndicale puis politique.
Aussi, est-il important de noter que l’époque de Sékou Touré était marquée par des dynamiques politiques et sociales très différentes de celles d’aujourd'hui, ce qui rend les comparaisons directes parfois inappropriées.
La famille Touré a vu ses droits reconnus concernant la propriété des cases de Belle-vue. Cette vérité n’échappe à personne, en tout cas pour ceux qui lisent l’histoire de ce pays. Même les adversaires contemporains les plus acharnés de Sékou Touré acceptent que ces lieux font partie de sa propriété privée.
Donc le cas de ces cases n’a absolument rien à voir avec le fait que des administrateurs publics s’octroient des biens immobiliers de l’Etat par des combines politiciennes. J’ai envie de dire que le décret du Général Mamadi Doumbouya dans cette affaire s’est passé en toute transparence. Personne ne peut en dire autant au sujet des domaines de Cellou Dalein Diallo et de Sidya Touré.
L’Église et la politique guinéenne : une perspective historique
Certains, dans leur dernière tentative de survie dans ce faux débat, évoquent désormais les propos du Cardinal Robert Sarah, qui, non sans rappeler sa déception quant à la rebaptisation de l’aéroport international de Conakry au nom de Sékou Touré, s’insurgeait récemment contre la restitution des cases de Belle-vue qui appartiendraient à l’Église.
Bien qu’il ne soit pas aisé de répondre à cette éminence, on peut tout de suite noter que si la plupart de ceux qui ont entrepris cette bataille d’opinion, qui acquiescent si facilement les propos de notre Cardinal n’étaient pas aussi passionnés et partisans d’une idéologie qui consiste à tout faire pour ternir la mémoire d’un homme, ils auraient fait l’effort ou eu l’intelligence historique de se poser la seule question qui vaille dans cette affaire : comment l’Église catholique a-t-elle obtenu ses domaines et pourquoi notre respecté Cardinal estime-t-il qu’il faudrait les restituer à son église ?
À vrai dire, le Cardinal Robert Sarah n’est pas totalement désintéressé. Il s’exprime au nom de l’Église, dont il fait partie intégrante. Et quoiqu’on en dise, l'Eglise catholique elle-même fait partie d'un plus grand ensemble politique contrôlé depuis le Vatican. De ce point de vue, le Cardinal, au-delà d'être un “homme de Dieu”, est l’agent d’un État dont il se sent dans l'obligation de défendre les intérêts.
Il est donc crucial que les commentaires du Cardinal soient vus sous l'angle de la défense des intérêts de l'Église. Le faire, c’est comprendre que d’où il parle biaise forcément son point de vue sur la restitution des domaines des cases de Belle-vue. Ce terrain n'était la propriété ni de l'Église catholique ni de l'État guinéen, et Sékou Touré ne l'a pas acquis par confiscation.
Au pire, si ce terrain avait appartenu à l’Église, il ne serait pas exagéré de dire que tous les domaines obtenus par l’Eglise catholique pendant la colonisation appartiennent à l’État guinéen. Le doyen Madifing Diané, un proche de Sékou, a expliqué dans une interview éminemment révélatrice comment le domaine fut acquis et le lien qu’on pourrait faire sur la demeure de Saifoulaye Diallo : deux amis fidèles qui auraient choisi d’acheter des domaines ensemble ou à tout le moins de vivre non loin l’un de l’autre. Selon lui, « il a fallu exproprier les indigènes guinéens pour que l'Église puisse s'installer dans cette ville (Conakry) et ailleurs à l'intérieur du pays ».
Et la seule fois que les cases de Belle-vue ont appartenu à l’État guinéen, c’était à la faveur de la loi cadre de 1968 qui interdisait la propriété privée. Sékou Touré avait alors choisi de mettre sa propriété au service du peuple. Depuis, il y accueillait des chefs d’État et de gouvernement, des alliés politiques et étrangers venus en visite d’Etat ou d’affaires en Guinée. Il semble d’ailleurs que c’est ce symbole que le régime de Conté a voulu garder, en guise de souvenir, témoin d’une histoire politique complexe, riche et parfois douloureuse. Mais il n’est pas question de se leurrer : il y avait également cette volonté de faire plus de mal à la famille de Sékou Touré, d’effacer ou pervertir l’héritage politique de cet homme. L’on est, somme toute, devant un dessein entretenu par des pseudo-intellectuels et technocrates qui ont profité de la mort de Sékou Touré et de la chute de son régime pour régler des comptes.
«Oui, il est là. Soit. Sékou est donc là, sous les couronnes de fleurs artificielles, aujourd'hui poussiéreuses, qu'avaient déposées, dans une indescriptible bousculade, les chefs d'État accourus du monde entier aux obsèques. C'était il y a un an. Ce mercredi 26 mars, jour anniversaire, personne ne s'est approché du "mausolée des héros nationaux", en forme de kiosque à musique, qui abrite le cercueil ». Ce témoignage glaçant du journal Le Monde publié en Avril 1985, tout juste un an après la mort de Sékou Touré, démontre clairement que le CMRN, derrière sa volonté de libération démocratique et de libéralisation (chaotique) du pays, avait déjà vu en Sékou Touré l’anti-modèle et le bélier sacrificiel pour gagner le soutien et la sympathie ceux qui, jadis, combattaient la Guinée et son choix audacieux de l’indépendance.
En 2017, notre regretté Elhadj Biro Kanté disait ceci : « Ce n’est pas sur le dos du PDG, le dos du RDA ou d’une ethnie qu’on construira l’unité nationale. L’unité nationale existait à la mort du Président Ahmed Sékou Touré. C’est au 3 avril 1984 qu’on a détruit cela. Nous allons dénoncer ceux qui ont fait ça afin de faire entendre la vérité à cette jeunesse montante pour qu’elle puisse s’unir comme un seul homme ».
Bien qu’elles nous éloignent quelque peu du sujet principal, ces précisions sont cruciales pour rendre justice à la mémoire de Sékou Touré. Et plus personne n’est plus éloquent que le même Robert Sarah quand il dit : « Le grand mérite du président Sékou Touré, c’est qu’il ne s’est jamais rien approprié personnellement. On ne dira jamais, voilà le palais, la villa ou la propriété de Sékou Touré. Sékou Touré n’a jamais pris un bien d’autrui pour se l’attribuer comme propriété personnelle. En cela, il suscite notre admiration ».
Même si on n’aime pas le personnage politique que fut notre premier président, il faut arrêter de colporter des mensonges à tout va ! Sékou Touré a eu un parcours syndical et politique extraordinaire avant de devenir président de la République : il avait à peine 36 ans. Il a été maire de Conakry, Secrétaire général du grand syndicat confédéré jamais égalé dans la sous-région, député à l’Assemblée territoriale, député à l’Assemblée nationale française, Vice-président du conseil de gouvernement, Président du Conseil de gouvernement.
Pour une exemplarité de nos dirigeants dans la gestion des biens publics
Pour ne pas conclure, la situation autour des résidences privées de Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré soulève des questions sur la transparence et la gestion des biens publics en Guinée. La question du respect des lois et des procédures, tant dans l’acquisition des biens que dans la gestion des domaines de l’État, mérite d’être davantage posée.
Il en va de même de la corruption généralisée qui sévit dans notre pays depuis des lustres. Si les autorités publiques, censées donner l’exemple d’en haut continuent de bafouer les lois et procédures pour s’octroyer des avantages indus, quel message cela envoie-t-il aux citoyens sur l’intégrité et la vertu des dirigeants politiques ? N’est-ce pas aux politiques d’être les premiers à incarner l’idéal de justice et d’équité qui régissent l’État de droit ?
Au moment où les Guinéens exigent plus de transparence dans la gestion publique et une véritable lutte contre la corruption, ceux qui détiennent le pouvoir seraient plus avisés de ne guère prendre des décisions qui piétinent la propriété publique. Ils doivent s’assurer que les lois sont appliquées de manière juste, impartiale et transparente. De ce point de vue, peu importe nos contradictions politiques, le plus important est de ne pas les rendre inhumaines. Au-delà des luttes politiques et des querelles mémorielles, il serait vital de réfléchir à une Guinée où l’éthique et la vertu politique seraient des piliers de l’action publique, redonnant ainsi confiance aux citoyens dans les institutions.
Ali est diplômé en Droit des Affaires de L’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLC-S ). I...
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