Décryptage • 27 avril 2025 • Andye Ghon-ga
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Les violences contre les femmes, la redéfinition du féminisme et les tensions autour du mariage révèlent un besoin urgent de dialogue et d’action concertée.
Ce jeudi 23 avril 2025, un autre numéro de Café Citoyen du magazine Les Concernés a offert une tribune de débat pour explorer cette thématique d’une brûlante actualité : la société guinéenne face aux défis des revendications féministes. Alors que notre société peine à se projeter ou à s’assumer à l’aune d’une hyperglobalisation agressive et d’un post-modernisme triomphant qui diluent nos spécificités et prêchent un évangile d’égalité radicale, quelle devrait être la place de la femme guinéenne dans ce choc civilisationnel fait de remises en causes des traditions et d’incessants drames sociétaux, voire idéologico-politiques ?
Pour répondre à cette question, le modérateur Mamadou Kossa Camara a invité quatre intervenants qui se sont fait remarquer ces derniers mois à travers des publications oscillant entre pertinence intellectuelle, importance ou portée sociale et combativité idéologique. Kankou Fofana, présidente de l’association Droit Accessible ; Aminata Doumbouya, féministe, diplômée en journalisme et étudiante en communication, médias et villes numériques à l’université Paris Panthéon-Assas ; Kadiatou Tounkara, entrepreneure et militante engagée pour les droits des femmes. Toutes les trois, malgré leurs subtiles divergences tirées de leurs propres expériences, parcours de militantes ou d’activistes, entendaient défendre la cause féministe contre ce qu’elles ont présenté comme une banalisation outrancière de la violence genrée et un mépris congénital des femmes en Guinée.
Face à elles se tenait Mamady Fanta Oularé, analyste politique et membre du cercle de réflexion Intelligencia 3.0. Sans être antiféminisme ou masculiniste radical, ce dernier entendait reprocher aux féministes radicales de vouloir occidentaliser la Guinée.
Les violences contre les femmes : un fléau enraciné et visible
La discussion s’est ouverte sur un constat de départ : la montée des violences faites aux femmes en Guinée. Aminata Doumbouya a exprimé sa profonde tristesse face à l’inefficacité des campagnes de sensibilisation, malgré une visibilité accrue grâce aux réseaux sociaux. « Les violences ont toujours existé, mais aujourd’hui, les femmes osent parler. » Elle continue en dénonçant avec vigueur l’absence de justice pour les victimes, qu’elle attribue à un manque d’empathie sociétale. Pour elle, un changement profond des mentalités est urgent.
Kankou Fofana a renchéri en pointant du doigt une culture récente où les violences sont devenues banalisées. Elle a appelé à une responsabilité collective, impliquant les pouvoirs publics, qu’elle juge défaillants dans leur soutien aux initiatives féministes. « Les autorités doivent collaborer avec les associations pour mettre en place un système de gestion des violences », a-t-elle martelé, critiquant le patriarcat renforcé par une lecture misogyne des religions.
Mamady Fanta Oularé, tout en condamnant ces violences, s’est interrogé sur leurs causes. Il a notamment suggéré que l’influence des réseaux sociaux et l’interconnexion mondiale pourraient jouer un rôle dans cette recrudescence de la question féministe en Guinée. Selon lui, certaines valeurs traditionnelles guinéennes, notamment la soumission attendue des femmes dans le mariage, seraient un facteur aggravant dans cette lutte farouche entre postmodernité et une certaine authenticité guinéenne.
Kadiatou Tounkara a, quant à elle, déploré la banalisation des droits des femmes et le manque d’éducation des hommes sur l’égalité des genres, ainsi qu’un système juridique défaillant pour protéger les victimes.
Une quête d’égalité aux contours disputés
Le féminisme, notion phare du débat, a révélé des visions à la fois convergentes et divergentes. Kankou Fofana a offert une définition nuancée, présentant le féminisme comme un mouvement aux multiples facettes – modéré, radical, matériel – mais uni par un objectif commun : l’établissement d’une société égalitaire, débarrassée des discriminations basées sur le genre. Elle a noté que les résistances au féminisme proviennent souvent des privilégiés, principalement des hommes, mais aussi de certaines femmes conditionnées par une société qui stigmatise l’émancipation féminine. Elle a défendu le féminisme radical, qui selon elle s’attaque aux racines du patriarcat. Pour elle, parce que les femmes sont les principales victimes des violences, elles doivent logiquement être au premier plan de ce combat en Guinée.
Mamady Fanta Oularé a proposé une lecture plus critique, tout en se positionnant comme un allié de l’égalité. Pour lui, le féminisme, né dans des contextes d’oppression marquée, souffre en Guinée d’un manque de stratégie claire. « Le féminisme est une idéologie qui vise l’égalité des droits et des chances, dans la sphère publique comme privée », a-t-il rappelé, mais il a regretté que le mouvement en Guinée se focalise principalement sur les violences basées sur le genre et les droits reproductifs.
Aminata Doumbouya a défendu une vision universaliste et inclusive du féminisme. « Toute personne juste, homme ou femme, est féministe », a-t-elle affirmé, rejetant l’idée que le féminisme devrait s’étendre à des problématiques comme l’alphabétisation ou l’accès à l’eau, au risque de diluer son objectif central : l’égalité des genres. Cette position a trouvé un écho chez Kadiatou Tounkara, qui a insisté sur le caractère universel du féminisme tout en rejoignant Fofana et Doumbouya sur la nécessité de déconstruire les structures patriarcales.
Le cas de Djelikaba Bintou : traditions sous tension
Au fur et à mesure qu’évoluait le débat, se dressait une tension fondamentale, un certain point de crispation entre la vision des trois jeunes femmes et celle — masculinisme ou traditionalisme se targuant de solidarité féministe — de Mamady Fanta. Cette tension fondamentale a notamment commencé à prendre forme lorsque les invités de Kossa ont débattu de la leçon à tirer du cas très controversé de l’artiste Djelikaba Bintou. En effet, les rebondissements des déconvenues et de la réconciliation, orchestrée par les autorités publiques, entre cette artiste populaire et son mari, également chanteur très apprécié du public guinéen, ont récemment pris en otage les débats sur les réseaux sociaux en Guinée pendant au moins deux semaines.
Se penchant sur ce fait sociétal majeur, qui selon certains n’a pas encore dit son dernier mot, Kossa a demandé à ses invités si la lutte contre la banalisation des violences en Guinée doit être uniquement centrée sur les droits des femmes, ou prendre la forme d’un projet plus global, englobant d’autres luttes sociales ?
Ici, la portée, l’organisation et le sens du mariage, institution centrale dans la société guinéenne, ont suscité des échanges particulièrement vifs. Kadiatou Tounkara a décrit le mariage comme une « prison » pour de nombreuses femmes, lesquelles seraient contraintes par des normes religieuses et culturelles à une soumission qui les expose à des violences et à des privations de droits. « Les jeunes filles sont éduquées pour devenir des épouses soumises, non des individus autonomes », a-t-elle déploré, éclairant l’ombre épaisse d’une socialisation genrée qui perpétue les inégalités.
Aminata Doumbouya, tout en reconnaissant la valeur spirituelle du mariage comme institution divine, a nuancé ce constat. Pour elle, le problème ne réside pas dans le mariage lui-même, mais dans les violences qui y sont associées. A l’en croire, le cas très médiatisé de Djelikaba Bintou aura surtout mis en lumière les failles du système patriarcal guinéen. « L’intervention du ministère de la Culture dans cette affaire envoie un message clair : les femmes ne sont pas en sécurité en Guinée », a-t-elle dénoncé, soulignant une forme d’institutionnalisation de la violence.
Mamady Fanta a exprimé une vision différente, contestant l’idée que le mariage soit intrinsèquement oppressif. Il a attribué certaines évolutions dans les perceptions du mariage à l’influence occidentale et au féminisme, qu’il perçoit comme des forces parfois déstabilisantes pour les structures traditionnelles. Concernant le cas Djelikaba Bintou, il a critiqué l’ingérence du ministère de la Culture, estimant que des acteurs sociaux, comme les leaders communautaires ou les associations, auraient été mieux placés pour intervenir. Cette position a divisé l’audience, certains y voyant une défense implicite des traditions, d’autres une critique légitime de l’interventionnisme étatique.
Kankou Fofana a rejoint Doumbouya sur le cas de Djelikaba Bintou, dénonçant une « institutionnalisation de la violence » par l’État. Elle a appelé à une réforme des cadres légaux et sociaux entourant le mariage. Il faut que le mariage devienne un espace d’égalité et de respect mutuel, plutôt qu’un lieu de domination, a-t-elle conclu.
Les financements occidentaux : une aide sans agenda ?
Un dernier point, non moins controversé, a porté sur les financements occidentaux aux ONG et associations féminines en Guinée. Kankou Fofana a défendu ces soutiens, soulignant leur rôle crucial dans l’accompagnement des victimes de violences, qu’il s’agisse de leur fournir des services juridiques, psychologiques ou matériels. « Ces financements ne viennent pas avec un agenda idéologique imposé », a-t-elle affirmé, rejetant l’idée répandue selon laquelle les ONG seraient des relais d’influences étrangères. Aminata Doumbouya a abondé dans ce sens, expliquant que ces fonds permettent de répondre à des besoins concrets, comme la prise en charge des victimes de viol ou l’accès à des avocats.
Pour Mamady Fanta, même si le fait d’être acculé par des contradictrices percutantes et implacables l’a empêché de donner une certaine substance à son raisonnement, ce sujet soulève des questions plus larges sur la souveraineté culturelle et économique de la Guinée. Dans un contexte postcolonial, où les relations avec l’Occident sont souvent scrutées avec suspicion, les financements étrangers peuvent être perçus comme une forme de néocolonialisme déguisé.
Pourtant, comme l’a noté Fofana, les ONG guinéennes opèrent dans un cadre local, avec des priorités définies par les réalités du terrain. Leur dépendance aux fonds étrangers reflète moins une aliénation culturelle qu’un manque de ressources domestiques, un problème structurel lié à l’économie guinéenne et à la faiblesse des politiques publiques.
Place à une Guinée plus juste et égalitaire
Ce Café Citoyen a, somme toute, mis en lumière les défis complexes auxquels fait face la société guinéenne, tiraillée entre traditions, modernité et aspirations tant à l’égalité qu’à la légalité.
Les violences contre les femmes, la redéfinition du féminisme et les tensions autour du mariage révèlent un besoin urgent de dialogue et d’action concertée. Comme l’a résumé Kankou Fofana, la lutte contre les inégalités doit être collective, impliquant les citoyens, les associations et des pouvoirs publics plus engagés. Dans un pays où les voix des femmes s’élèvent de plus en plus, de tels débats marquent une étape dans la longue marche vers une Guinée plus juste et égalitaire.
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