Économie, À la une, Décryptage • 7 octobre 2025 • Daouda Loua KANTE
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Bien que la structure de ces deux économies diffère par leur diversité sectorielle, elles restent toutes deux fortement soutenues et vulnérables aux chocs exogènes liés aux prix des matières premières
Le 26 juin dernier, l’économie guinéenne a enregistré une forte progression de son Produit Intérieur Brut (PIB) pour l’année 2024. Celui-ci est passé de 106 845,3 milliards à 161 539,2 milliards de francs guinéens (environ 37 milliards d’euros), soit une hausse de 51,2 % à la suite d’un rebasage réalisé par l’Institut National de la Statistique, un exercice entamé depuis 2017 avec l’appui de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA). Grâce à cette opération, la Guinée se hisse au rang de deuxième économie d’Afrique de l’Ouest, devant le Sénégal dont le PIB est estimé à environ 32,27 milliards d’euros.
Qu’est-ce qu’un rebasage du PIB ?
Le rebasage du PIB est une opération statistique qui consiste à mettre à jour l’année de référence servant au calcul du PIB d’un pays. L’objectif est de refléter plus fidèlement la structure économique actuelle, en intégrant des secteurs jusqu’ici sous-estimés ou non comptabilisés.
Dans le cas de la Guinée, cette révision ne correspond pas à une croissance réelle immédiate, mais à une meilleure mesure des activités existantes qui étaient jusque-là sous-évaluées.
La Guinée, en procédant au rebasage de son PIB, adopte le Système de Comptabilité National 2008 (SCN 2008), une norme internationale qui permet au pays de s’aligner sur les standards statistiques internationaux.
Si les retombées économiques de cette progression spectaculaire du PIB ne sont pas concrètes, la Guinée pourra néanmoins bénéficier de la modernisation de son système statistique national. Cela garantira des données économiques fiables, comparables et actualisées, utiles à la planification stratégique, à la mise en œuvre des politiques économiques ainsi qu’à l’attractivité du pays pour les investisseurs.
Guinée et Sénégal : des structures économiques différentes mais soutenues par l’extraction des matières premières
Si la Guinée occupe aujourd’hui, sur le papier, une place supérieure à celle du Sénégal grâce à cette opération statistique, il faut souligner que le Sénégal pourrait lui aussi procéder à un rebasage similaire. Cependant, au-delà des chiffres, la comparaison repose sur des structures économiques très différentes : la Guinée a une économie dominée par le secteur minier (particulièrement la bauxite et l’alumine), là où l’économie sénégalaise, davantage diversifiée, repose sur l’agriculture, le tourisme, les services, les industries, le BTP et, à moyen terme, le développement des hydrocarbures (pétrole et gaz). Aussi, cette croissance de l’économie guinéenne est volatile, dépendante des cours mondiaux et peu créatrice d’emplois directs comparativement à l’agriculture ou à l’industrie manufacturière.
Toutefois, bien que la structure de ces deux économies diffère par leur diversité sectorielle, elles restent toutes deux fortement soutenues et vulnérables aux chocs exogènes liés aux prix des matières premières. Les conséquences de ces chocs varient cependant d’un pays à l’autre.
En Guinée, la croissance économique en 2024 avant le rebasage du PIB s’élevait à 6,1 %, portée principalement par le secteur minier, notamment grâce à une hausse de la production d’or et de bauxite, ainsi qu’aux investissements liés au lancement du giga-projet Simandou. Selon les prévisions du FMI, cette dynamique devrait se poursuivre en 2025, avec une croissance attendue à 7,1 %.
Au Sénégal, la croissance économique était également de 6,1 % en 2024 et devrait continuer à progresser. D’après les prévisions de la Direction générale de la planification et des politiques économiques, elle atteindrait 8 % en 2025, soutenue par l’exploitation du pétrole et du gaz, dont la production devrait augmenter de 113,3 %.
Une avance guinéenne, mais surtout statistique.
La Guinée dépasse certes le Sénégal en termes de PIB après rebasage, mais cette avance reste conjoncturelle et ne traduit pas une supériorité structurelle. Le Sénégal dispose en effet de fondamentaux économiques plus diversifiés et d’atouts solides pour assurer une croissance durable et résiliente à court et moyen terme, contrairement à la dépendance minière de la Guinée.
Des défis communs aux deux économies : économie informelle, faibles retombées économiques, chômage accru…
Malgré les hausses du taux de croissance du PIB dans ces deux pays, le véritable enjeu économique réside dans leur capacité à capter une part significative de cette croissance au profit de l’économie locale. L’on sait, en effet, qu’une grande partie de la production nationale en Guinée et au Sénégal est assurée par des entreprises étrangères, principalement dans les secteurs miniers et les infrastructures.
En Guinée, le secteur minier qui représente plus de 30 % de la production nationale et 80 % des exportations est largement dominé par des entreprises étrangères, lesquelles rapatrient la totalité de leurs profits vers leurs pays d’origine. De fait, en termes de retombées économiques, la Guinée ne bénéficie que des revenus fiscaux et d’une part de l’emploi, souvent peu qualifié.
Même constat au Sénégal, où la croissance économique repose en partie sur le secteur des hydrocarbures, également dominé par des entreprises étrangères qui rapatrient leurs bénéfices nets à l’étranger, limitant ainsi les retombées économiques locales.
Le défi commun à ces deux pays est donc de tirer pleinement parti de cette croissance économique. Ils gagneraient à augmenter la part de revenus captés localement, à renforcer la compétitivité des entreprises locales formelles, à intégrer les PME aux chaînes de valeur, et à promouvoir l’industrialisation nationale.

Daouda Loua Kanté est consultant business analyste, économiste et chargé de travaux dirigés en instr...
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