Analyse, Politique • 28 décembre 2023 • Ali Camara
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Image source: Les Concernés
Au moment où la classe politique guinéenne et les autorités de transition se partagent sur l’organe chargé d’organiser les élections, il est crucial de rappeler certains faits.
Pendant le règne du Parti-État du PDG, les élections étaient organisées sur l’ensemble du territoire, des comités révolutionnaires jusqu’au bureau central du parti. Des milliers d’élus sortaient d’un processus électoral à la fois transparent et démocratique sans encombre. Par contre, sous la coupe du multipartisme de la deuxième République, les élections étaient organisées par le Ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation.
Mais la farce démocratique qui a prévalu au temps du Parti de l’Unité et du Progrès (PUP) et l’envie d’éternisation au pouvoir d’un régime qui était censé avoir opté pour le jeu démocratique a modifié les règles du jeu politique en Guinée. S’il s’était donné les moyens d’organiser les élections (quand il les organisait), le PUP ne manquait jamais de prendre le soin de bloquer le processus par la fraude et la corruption.
C’est ainsi que même les élections locales ont commencé à être truquées. L’administration étant dorénavant politisée à outrance, les représentants (gouverneurs, préfets, sous-préfets ) de l’État étaient mis à profit pour veiller à la victoire de la Colombe blanche du PUP. On peut aussi noter l’inféodation de la justice, où finalement la Cour suprême ne pouvait que valider ces résultats qui ne reflétaient aucunement la volonté des électeurs.
Nos hommes politiques ont un défi d’intégrité
La CENI (commission électorale nationale indépendante) voit ainsi le jour en 2007 suite à des tiraillements entre le pouvoir et la société civile pilotée à l’époque par la fougueuse et très efficace centrale syndicale. Face à un vaste mouvement de contestation populaire qui va paralyser le pays pendant plus d’un mois et dont le degré de défiance et de témérité devant l’adversité (notamment les tirs à bout portant sur les manifestants au pont du 8 novembre et dans certaines régions à l’intérieur du pays) surprend les autorités, le pouvoir se voit dans l’obligation de céder à une grande partie des revendications.
Censée être le gage d’un certain équilibrisme électoral qui mettrait fin aux combines et liaisons dangereuses entre les institutions de la République et le parti au pouvoir, la CENI figurait en bonne place sur la liste desdites revendications. A sa naissance, cette commission qu’on veut salvatrice et essentielle pour notre démocratie balbutiante est composée de 25 membres désignés comme suit : 10 par la majorité présidentielle, 10 par l’opposition, 3 par les organisations de la civile, 2 par l’administration.
Si cette composition sur papier peut sembler d’un certain équilibre, la réalité est tout autre. Il ressort en effet, pour celui qui connaît comment fonctionnent nos administrations, que le pouvoir avait d’office 12 membres sur 25 et que l’opposition qui peine toujours à avoir un consensus se trouve en minorité. Cette minorité est davantage accentuée par ses crises internes, la volonté de chaque parti à défendre ses propres intérêts et le fait, disons-nous la vérité, de l’existence de certains politiques qui, tout en prétendant d’être de l’opposition, étaient en intelligence avec le pouvoir en place dont ils faisaient le jeu.
Quant à notre société civile, le fait qu’elle soit tantôt du côté du pouvoir et tantôt du côté de l’opposition dit clairement qu’ elle est devenue politique. De fait, ses positions varient en fonction des vents politiques qui prévalent à Conakry ainsi que des agendas et ambitions personnels de leurs chefs de file de circonstance.
À côté de la CENI, la constitution de 2010 a institué la Cour constitutionnelle chargée entre autres de la validation ou non des scrutins électoraux. Là encore, après l’évincement de Kèlèfa Sall qui semblait gêner toute velléité d’un mandat de trop du Président Alpha Condé, la Cour constitutionnelle est devenue l’instrument qui a permis à la fois un changement de constitution inopportun et le troisième mandant qui en était finalement le résultat escompté. Et comme si cela ne suffisait pas, elle s’est permise d’entériner une Constitution tout autre que le projet de Constitution sur lequel les guinéens s’étaient prononcés.
Si on peut avoir des divergences sur les résultats de ce référendum frauduleux, il reste indéniable que la Cour constitutionnelle guinéenne s’est parjurée à plusieurs reprises. Au-delà de son avis favorable au changement de Constitution sur des arguments juridiques controuvés, elle aura permis d’entériner une fraude référendaire en adoptant une constitution pour laquelle le peuple de Guinée n’a pas voté.
Le gouvernement de transition doit rassurer davantage
Aujourd’hui donc, au moment où l’on s’interroge sur l’organe de gestion des élections, c’est peut-être l’occasion ultime de rappeler aux uns et aux autres que c’est tout le processus qu’il nous faut interroger et que, peu importe l’organe de gestion des organes et la juridiction chargée d’examiner les résultats, il est clair que la source de notre longue traversée du désert démocratique est ailleurs. Je veux dire que la raison de nos incessants échecs de consolidation démocratique n’est pas seulement nos institutions ; c’est aussi et surtout ceux qui sont censés les incarner.
C’est pourquoi les acteurs politiques qui veulent un processus électoral transparent et crédible ont tout intérêt à ne pas jouer au double discours. On ne peut aller à une élection qu’on veut crédible, sans mettre au clair la question du fichier électoral dont le référentiel indiscutable reste le recensement général de la population.
Il y a également la question de l’opérateur des données pour les élections et naturellement la question du Code électoral. Cela dit, les autorités de la transition ne peuvent pas imposer le Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation comme l’organe de gestion des élections sans donner des garanties à tous ceux qui voient cette démarche d’un mauvais œil.
Entre autres garanties de crédibilité et de sincérité à donner à la classe politique, le gouvernement devrait se pencher sur la publication du nouveau fichier électoral ; la mise à la disposition des acteurs électoraux des moyens électroniques pour vérifier instantanément le comptage des votes ; le déploiement, en plus des délégués des différents partis politiques à tous les niveaux du processus, d’observateurs indépendants, nationaux et internationaux…
Si les acteurs concernés ne s’entendent pas sur la question, c’est sûrement parce qu’il y a une crise de confiance. Il est donc de la responsabilité du gouvernement de transition de faire la preuve de sa neutralité.
En France par exemple, ce pays qui est présenté par d’aucuns comme le paragon de démocratie, c’est bien le Ministère de l’intérieur qui organise les élections. Au Sénégal tout proche, c’est un organe indépendant, en l’occurrence la Commission électorale nationale autonome (CENA), qui est chargé de l’organisation des élections. Le point commun de ces deux systèmes est que les acteurs politiques ont trouvé le moyen de s’assurer de la transparence du processus électoral. À tous les niveaux, les challengers restent imprégnés de tout.
Le processus électoral aux États-Unis est beaucoup plus complexe. Avec des règles particulières au sein de chaque État et un vote indirect aux présidentielles, la particularité des élections américaines est la forte implication de la presse à tous les niveaux, de sorte que les américains et tout le monde entier suivent de bout en bout le jour des élections américaines. C’est cette méthode – même si comparaison n’est pas (forcément) raison – qui a permis de sauver les élections récentes au Liberia. Quoique nous ayons salué la reconnaissance de sa défaite aux élections pour un second mandat de six ans, il n’a échappé à aucun observateur sérieux de la crise électorale au Libéria que Georges Weah n’avait au bout du compte pas d’autre choix.
En fin de compte, l’un de nos défis majeurs aujourd’hui est de créer un cadre politique dans lequel, lorsqu’ils perdent les élections ou l’approbation populaire, nos leaders (même au pouvoir), n’ont d’autre choix que de rendre le tablier. Et puisque ceci passe nécessairement par une certaine révision des règles du jeu, le destin de la nécessaire refondation promise par la transition se joue à deux niveaux : la transparence au sommet de l’Etat et une certaine éthique de compromis au sein de la classe politique. Autrement dit, alors que les autorités doivent rassurer l’essentiel des acteurs en communiquant davantage et avec clarté et précision sur leur chronogramme et les actions qui y mèneront, la classe politique doit davantage se mettre dans son rôle de critique constructive, de proposition de pistes de solutions et d’accompagnement des sentiers salutaires de la transition.
Ali est diplômé en Droit des Affaires de L’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLC-S ). I...
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