À la une, Essais, Politique • 14 février 2025 • Alpha Saliou DIAKITE
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La future constitution, telle que proposée par les rédacteurs de l’avant-projet, rappelle ces magnifiques vers de Charles-Augustin : « elle désarmait les colères autant qu’elle adoucissait les aspérités ». Tout se joue, à vrai dire, dans la rédaction. Comme démontré dans notre premier billet, le plagiat est là, seulement sur le plan des idées, du paradigme, des concepts et bien souvent aussi, sur des phrases entières. Mais malgré tout, ce qui rend la satisfaction illusoire et les aspérités bien réelles, ce sont aussi les nombreuses innovations, les grands progrès. Elles confèrent au texte une apparence subtile, l’image d’une œuvre oblative, conçue dans le seul intérêt du peuple. Mais à y regarder de plus près, point par point, le diable, se cachant dans les détails, émerge. Et l’avant-projet, tout à coup, se trouve privé de son incandescence, extirpé de l’étoile dorée où s’était logé, le temps de quelques espérances, le rêve d’une magnifique construction démocratique.
Et ainsi, comme ces grandes annonces au contenu superfétatoire, le texte qui nous a été présenté par le CNT se présente finalement comme il est : mal conceptualisé, mal ficelé et lapidaire sur pratiquement tous les éléments de substance qui en constituent la voûte éclairante. De la jeunesse, on pourrait affirmer qu’elle a été sacrifiée sur l’autel de la gérontocratie viagère. Entre discrimination absurde (1) et refonte technique exubérante (2), l’avant-projet nous offre une démocratie hors de prix impossible à appliquer, impossible à manœuvrer (3).
I – Discriminations absurdes : entre procès et sacrifice de la jeunesse
La grande perdante de ce vaste projet de refonte principielle et systémique semble être la jeunesse. En dépit de son écrasante majorité et cela est conforté par toutes les statistiques élaborées par les organisations spécialisées des Nations Unies, elle est considérée comme indigne, du fait de l’âge, à accomplir certaines fonctions. Cette privation ne repose sur aucune étude, peu importe qu’elle soit sérieuse ou non, sur aucun fait probant, de quelque nature qu’il soit.
Les refondateurs ont seulement décidé, sans arguments, qu’à trente ans, un citoyen guinéen n’est pas suffisamment apte à participer à la construction de l’en-commun. Sur l’autel de ce déni manifeste, c’est l’aigreur des vieux qui s’enracine dans la norme suprême ; c’est la violence du mépris qui se hisse au sommet de la pyramide.
Partout, cet avant-projet sanctuarise l’expérience en la confondant, tantôt à la compétence, tantôt à l’intelligence. Si bien que, dans la plupart des institutions constituées proposées, les jeunes sont mis à l’écart, sommés de courber l’échine devant une masse d’aïeuls dont le seul signe distinctif est l’âge.
Depuis 66 ans, ils ont échoué à tous les niveaux : de la construction de l’Etat à la consolidation des acquis démocratiques. La Guinée, du fait de leur gestion, ne ressemble toujours pas à grand-chose, condamnée à végéter dans le clair-obscur d’un passé dont personne n’a envie de se souvenir. Malgré cela, les réformes successives continuent à plébisciter ces monstres aux cheveux blancs dont les connaissances, dépassées et incohérentes, peinent à comprendre et surtout à traduire le réel.
Par la complicité des artisans d’un monde immobile où les institutions, pour être solides, doivent apparemment résister au temps et à la tentation des hommes, la gérontocratie veut prendre en otage la présidence de la République. Pour y être l’élu, il faut, assène l’article 45 de l’avant-projet, avoir 35 ans au moins.
La tournure, il faut le reconnaître, est espiègle. On pourrait même, pour rendre la démonstration plus cocasse, plus burlesque, décerner au CNT le prix de l’habileté. En cela, on aurait eu raison, tant il est vrai que derrière la foudroyante audace d’incorporer une certaine jeunesse, on en a exclu l’épine dorsale. Et puis, il ne faut pas succomber à la duperie. 35 ans, c’est seulement pour caresser les plus téméraires ou peut-être les plus naïfs.
Dans les faits, nul ne souhaite un jeune à la tête de l’Etat, pas même les plus ouverts. Ils se cachent tous derrière des élucubrations, ces exécrables remontrances pour donner d’une main ce qu’ils reprennent aussitôt de l’autre.
Cette vision malheureuse est le prolongement d’une idée sotte, longtemps défendue par nos précédentes chartes fondamentales. Il n’est pas impossible que dans la croyance des concepteurs d’une telle œuvre, la présidence soit davantage proche de la mort que de la pleine vie. Sur le plan de la symbolique, l’analyse n’est pas complètement désincarnée. Car en Guinée, tout tend vers la mort — surtout la mort des rêves et des ambitions. L’ombre de la fin accapare tout ce qui a un semblant de souffle, une infime énergie vitale et le transforme en substance inerte, inutile à n’importe quel usage.
A l’occasion des discussions malheureuses qu’il nous est donné d’écouter, on peut entendre « les jeunes sont nuls, mal formés et sans expériences ». Ces concepts désobligeants sont proférés par une foule de voleurs, pour la plupart sexagénaires, très expérimentés dont l’unique talent consiste à subtiliser les deniers publics.
Dans leur monde, la jeunesse commence à 40 ans. A cet âge, ils sont conscients d’avoir tout raté, y compris l’espoir de la réussite par le génie. Et puisque le flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute, ils saisissent cette ultime occasion pour se constituer un capital de cirage de pompes sous les conseils avisés de quinquagénaires dont le négoce est en pleine expansion. Au cercle des tropiques, c’est le lourd tribut à payer pour bénéficier de la belle générosité du Président.
A cela, on pourrait également ajouter les 40 ans requis comme condition minimale en termes d’âge pour être sénateur (article 110). La charte suprême, sur ce postulat, ne s’accommode pas de la langue de bois. Elle prend le risque sinon inconsidéré du moins volontaire d’oblitérer la jeunesse dans l’exercice des hautes fonctions d’Etat. Peut-être est-il vrai que l’argument d’une telle disqualification reposerait soit sur le nombre d’années d’expérience, soit sur la maturité. Dans l’un comme dans l’autre cas, ce sont les anciens qui vitupèrent, qui blâment, qui annihilent. La raison ? ils ne souhaitent pas la concurrence des jeunes, car celle-là leur est préjudiciable. Habitués aux flatteries puériles et au partage des miettes en contrepartie d’une certaine stature sociale, ils craignent d’être dédaignés, de subir en retour le mépris qu’ils ont fait subir à leur cadet.
Or, une assemblée délibérative comme le sénat, quand-bien même nous ne partageons pas la façon dont elle est déclinée dans cet avant-projet, a besoin d’énergie, de passion, de vigueur, de conviction pour exercer les missions qui sont les siennes : voter les lois et contrôler l’action gouvernementale. En cela, l’âge n’est en rien une variable essentielle ; et si malgré tout elle devrait en être une, celle-ci aurait dû être en faveur de la jeunesse. D’autant qu’elle a tout à perdre en cas de faillite nationale et de délitement démocratique.
Et puis, il y a aussi la Cour Constitutionnelle. Là encore, les exigences montent d’un degré. 35 ou 40 ans ne suffisent plus. Il faut aller plus loin. Les envies gérontocrates sont difficiles à combler, et les vieux sont prêts à n’importe quel compromis pour conserver leurs privilèges. A ce titre, les refondateurs n’hésitent pas à succomber à une certaine forme de jansénisme primaire, lequel est justifié par des arguments à la fois circulaires et poppériens. L’objectif est simple : limiter considérablement l’ouverture des fonctions de juges/membres des juridictions sommitales à la tranche juvénile de la population, laquelle est au demeurant la plus importante en termes de représentation.
En cela, l’avant-projet n’est pas moins rigide. A l’article 145, l’injonction a le double mérite d’être claire et insurmontable. Il faut 45 ans au moins pour être membre de la Cour Constitutionnelle. Comme si la messe n’était pas si bien énoncée, fallait-il ajouter d’autres conditionnalités pour empêcher que, du fait des failles potentielles, une masse de parias habiles puissent y avoir accès, rendant la compétitivité malsaine aux yeux des anciens.
Pour éviter cette possibilité, le texte ne s’embrasse pas de contrition. En normalisant la nomenclature des membres pouvant siéger à la Cour (2 hauts magistrats ayant au moins 25 ans de pratique ; 2 enseignants chercheurs ayant au moins 15 ans d’expérience ; 4 personnalités ayant au moins 20 années d’expériences ; 2 avocats ayant 20 ans de pratique), elle s’écarte du champ rationnel, celui qui fait de la compétence le critère prépondérant ; et tombe sous le coup d’un conservatisme grégaire, faisant des années d’expérience la seule variable de désignation.
Or un juge constitutionnel est avant tout le gardien de la loi fondamentale, laquelle est l’expression de la volonté directe du peuple. Dans le contexte guinéen, le peuple est majoritairement constitué de la couche la plus jeune. C’est à cette dernière qu’on impute la volonté de la norme suprême. L’on pourrait même affirmer que les rédacteurs n’en sont pas moins des mandataires ou de simples porte-paroles qui agissent en son nom et pour son compte. Dès lors, il est impossible de comprendre que cette jeunesse, âgée pour la plupart de 34 ans et moins, soit délibérément écartée des structures censées protéger sa volonté au motif d’une logique d’expérience complètement vidée de sa substance. Combien de juges constitutionnels vieux avons-nous connu dans l’histoire de notre jeune Etat ? et combien étaient-ils à la hauteur de l’histoire ? Complices ou artisans des troisièmes mandats, ils ont tous participé, peu ou prou, à la fragilisation de notre démocratie et sont comptables de la cascade de crises que traversent notre lieu commun.
Descendons encore d’un cran et cette fois, évoquons le cas du Conseil Supérieur de la Magistrature. Là encore, le constat est sans appel. L’article 171 évoque le profil des 15 membres qui doivent la composer. 13 d’entre eux sont des magistrats de nos Cours sommitales, des procureurs généraux auprès des mêmes Cours, un ancien ministre de la justice…ils sont tous pratiquement de la même génération d’anciens. Les deux derniers auraient pu être des jeunes. Mais le texte renonce à la clémence. Il exige que l’enseignant chercheur, pour y être membre, doit avoir, en plus du doctorat (ce qui nous semble être une condition raisonnable), 10 années d’expérience au minimum dans la recherche. Pour ce qui est de la personnalité « extérieure », elle doit avoir elle aussi 10 ans d’expérience dans la défense des droits humains.
Aucun argument logique ne peut justifier qu’on écarte des jeunes docteurs, avocats, magistrats, extrêmement talentueux dont le rêve est de participer à l’édification en Guinée d’un véritable Etat de droit, au motif qu’ils sont moins âgés. Il n’est pas juste pour un tel jeune de n’entrer à la Cour Constitutionnelle que pour être simple assistant (article 145). Cela vaut également pour des postes ministériels, pour être membre des institutions d’appui au développement où l’expérience, c’est-à-dire l’âge, semble être sanctuarisé par l’avant-projet. Des années infinies d’expériences ou encore le nombre d’anniversaires célébrés ne sont en rien gage de compétence. En cela, la Guinée est un très vilain exemple.
Il est, en définitive, grand temps de refuser l’exclusion et l’instrumentalisation des jeunes fondées sur des faux prétextes. Le critère de disqualification ne devrait en aucune manière reposer sur des vertus subjectives, aussi importantes soient-elles. La sélection doit se faire sur des bases de compétence où sont pris en compte d’abord et avant tout, le génie et le talent.
D’ailleurs, l’histoire rappelle que ce sont les jeunes qui ont façonné notre pays. Des empires précoloniaux aux nombreux mouvements de résistance contre le colon, les jeunes étaient partout à l’œuvre, couvrant tous les sentiers de la révolte. Et quand sont venues les indépendances, consenties au prix d’un effort collectif inexorable, le régime primordial qui fut alors inventé était le plus jeune d’Afrique, avec, à la tête des ministères, un nombre impressionnant de jeunes qui avaient à peine 30 ans. Ils ont fait en 10 ans ce qu’aucun pouvoir n’a été capable d’accomplir depuis. C’est justement en vieillissant qu’ils ont perdu la fougue de départ, la guerre de camps ayant eu raison de la paix qu’il leur fallait absolument construire. Et depuis, cette erreur historique continue de hanter notre destin collectif et aucun vieux n’a été en mesure d’apporter le moindre remède à ce schéma terrifiant. L’heure est peut-être venue d’écrire une autre page de notre tumultueuse histoire.
Autres discriminations masquées par un texte diffus
Au cœur des dispositions bavardes et incantatoires contenues dans ce texte, se trouvent aussi – et cela est difficile à croire – une flopée de discriminations inacceptables. Nous ne parlons pas ici de ce qu’il est loisible d’entendre par discriminations positives, toutes ces mesures fortes qui sont la juste expression du principe d’équité, très chère à notre jeune nation.
Que les femmes, parce qu’insuffisamment représentées dans les hautes fonction d’État, bénéficient des avantages du principe de parité, cela n’est que justice et bon droit ; ou même qu’une catégorie particulière de sujets de droit, en raison de leur fragilité, tirent profit d’un certains nombres de privilèges parce que justifiant du statut de minorité protégée, nous ne voyons en cela que l’extraordinaire manifestation de la bonté naturelle consubstantielle à tout guinéen. En cela, nous ne sommes que fort reconnaissants. Et si l’avant-projet mérite une certaine gratitude, ce serait sans doute celle-là.
Mais puisque nous avons fait le choix de n’aborder dans ce texte que les éléments qui nous semblent corrosifs, il ne sera nullement question d’un quelconque éloge à l’endroit de nos rédacteurs. Ici donc, nous avons pris l’engagement de faire un réquisitoire acerbe contre les discriminations suicidaires inconsciemment mises en exergue dans ce texte.
Commençons d’abord par rappeler la norme, en ce qu’elle contient, au-delà des principes structurants, une promesse qui ensemence notre idéal commun : « Les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits ». Que cette promesse soit reprise par d’autres législations, que celles-ci nous viennent de contrées lointaines, dont nous ne soupçonnons ni l’existence, ni la prouesse, cela, à vrai dire, a moins d’intérêt à nos yeux. Ce qui importe, c’est le fait pour le constituant originaire d’avoir pris le soin de proclamer cet axiome. Il l’a rendu si évident qu’il ne s’agit plus seulement de croire que nous sommes nés uniquement avec lui, mais avec la passion de le défendre. En sorte que nous considérons tout projet d’assujettissement ou même toute tentative d’hiérarchisation, parce que contraire à notre nature intrinsèque et à nos croyances constitutionnelles, comme une offense intolérable à notre humanité, à notre dignité d’être.
La loi suprême ne s’arrête pas au milieu du gué, de peur que sur ses silences, une doctrine malveillante ne développe une herméneutique qui contrebalance sa vulgate. Sitôt donc qu’elle sanctuarise la liberté et l’égalité, elle exclut l’ivresse ségrégationniste peu importe le motif qui pourrait lui servir de justification : « Toutes les formes de discrimination basées sur l’ethnie, la région, la religion, la couleur de la peau, le sexe, le patronyme, la langue, l’état physique ou mental ainsi que les croyances et les opinions politiques, philosophiques ou religieuses sont proscrites ». Le principe est limpide, et la philosophie qui en constitue la substance totalement intelligible. Adapté à notre contexte politico-historique, il a le mérite de prévenir les violences sociales, lesquelles sont toujours ethniquement ou religieusement connotées.
Mais comment comprendre qu’à l’intérieur du même corpus, les rédacteurs soient les premiers à enfreindre les normes qu’ils ont sanctuarisées en créant çà et là des normes concurrentes, privant les premières de la clarté de leur contenu.
Pour comprendre cette postulation, prenons les dispositions de l’article 45 : « Tout candidat aux fonctions de président doit être de nationalité guinéenne et de parents dont un au moins est guinéen d’origine ». Que l’appartenance à la nationalité guinéenne soit une condition fondamentale d’éligibilité du président, n’est-ce pas là une exigence somme-toute équitable ? Mais que l’article pose une distinction entre guinéen et guinéen d’origine, est fort embêtant, en même temps qu’il contredit les principes d’égalité et de non-discrimination.
Il y a lieu tout de même d’exonérer nos rédacteurs d’une quelconque accusation de ressentiment. Car ici, il ne nous semble pas que vu de leur perspective, ils soient pourvus de mauvaise intention. Ils voulaient seulement empêcher à des gens qui se naturalisent, qui n’ont peut-être aucun lien cosmogonique avec la Guinée, de prétendre au poste de Président. Si tel est le cas, la formulation de cette disposition trahit l’intention de nos aimables conseillers. Car rédigé ainsi, on pourrait en tirer deux enseignements, sans doute sacrificatoires.
Le premier est relatif à ce qu’il est loisible d’entendre par origine. A quoi ce mot fait-il référence, d’autant que l’avant-projet ne le définit pas. Comment pourrait-on alors le comprendre, et quel contenu pourrions-nous lui donner ? Et d’ailleurs, c’est qui un guinéen d’origine ? Le débat est sans fin, en ce qu’il rend objectif une donnée purement subjective. Faut-il invoquer l’ethnie ? Et doit-on, à ce titre, inclure la dimension d’autochtonie ?
Tout ceci montre la polysémie de ce mot-valise. Chacun, qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, pourrait y déverser ses propres fantasmes. Et à la longue, c’est notre nation qui en souffrira ; c’est l’unité précaire obtenue au prix de mille sacrifices qui éclatera. Aujourd’hui peut-être, le danger est moins perceptible. Mais demain, lorsqu’il sera interprété contre une ethnie entière ou contre une communauté donnée, aucun argument n’excusera alors notre folie.
Le second est relatif à la nationalité. C’est quoi être guinéen au bout du compte ? Est-ce le fait d’avoir en partage une ethnie ou des langues ? Cela est moins évident, car avec tous nos pays limitrophes, nous avons en commun des langues semblables aux origines ethniques entremêlées. Or une ressemblance pareille, aussi importante soit-elle, ne fait pas de nous un même peuple. Il en va de même du lignage. Les études anthropologiques et historiques démontrent que la Guinée, le Mali, le Sénégal, la Sierra Léone, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau et le Libéria partagent bien plus que des frontières ; ils ont pratiquement la même ascendance et ont pour point d’encrage les mêmes ancêtres. Et pourtant, tout ce patrimoine ne suffit pas pour faire de ces populations homogènes des enfants de la même terre, portés par une identité nationale qui les attache les uns aux autres. Sur quoi alors pourrions-nous fonder l’appartenance à la Guinée ? l’approche légale est, somme-toute, la plus juste. Les guinéens sont d’abord ceux qui naissent de parents dont un au moins est guinéen ; ils le sont également en raison de leur naissance en Guinée, ils le sont enfin du fait d’un mariage énamouré à l’identité, à la culture guinéennes dont la naturalisation formalise l’aboutissement. Peut-être pourrions-nous réserver la candidature à la présidence aux deux premiers, en reposant notre argumentation sur la naissance. Serait présidentiable, suivant ce schéma, tout guinéen qui aurait acquis cette qualité par le fait de la naissance. Soit sur le territoire national, soit d’un des parents qui justifie de cette qualité avant la naissance de son enfant. Une telle approche nous paraît plus crédible et sans doute moins sujet à controverse.
Le passage constitutionnel incriminé est dès lors maladroit et pourrait être source de conflits à long terme si des acteurs politiques sont écartés par la Cour Constitutionnelle sur ce fondement. Une petite introspection sur l’exemple ivoirien ne serait en aucun cas exagérée.
Allons encore plus loin et cette fois, analysons cette autre disposition qui ajoute à l’éligibilité préalablement invoquée une autre condition, somme-toute lapidaire. Apparemment, pour être éligible, le Président doit « Être en bonne Santé Physique et mentale certifié par un collège multidisciplinaire de médecin assermentés, institués par la Cour Constitutionnelle ». Là aussi, l’intention n’est pas coupable, d’autant plus que que le poste de chef de l’Etat expose celle ou celui qui l’assume à un haut niveau de stress. On doit donc légitimement attendre d’une telle personne qu’elle justifie d’une bonne aptitude physique et mentale.
Néanmoins, l’aptitude et la santé sont deux éléments complètement différents. Lequel des deux doit-il prévaloir ? De notre point de vue, l’aptitude doit primer sur la santé. Car on peut être physiquement malade et être en même temps physiquement apte. Il en va, par exemple, d’un malade souffrant de paludisme, de fièvre typhoïde ou encore de rhumatisme. Le corps est éprouvé par une maladie peu ou prou passagère mais l’aptitude physique n’est pas ébranlée. Il est possible d’adjoindre à cette liste non exhaustive des maladies plus graves comme le diabète, l’insuffisance rénale, l’hypertension, le VIH… Ces maladies, lorsqu’elles sont prises en charge, ne sont en rien des facteurs d’inaptitude. Il ne serait pas raisonnable de trouver dans ces épreuves un moyen de disqualification d’un candidat quel qu’il soit. Aussi la formulation est si générale, si vague qu’elle peut servir de prétexte pour justifier n’importe quelle interprétation fantasmatique.
Pour ce qui est de la santé mentale, la littérature médicale n’a pas encore fini d’épuiser la question. Les définitions, en la matière, sont légions. Qu’est-ce qui relève de la santé mentale ? Les explications sont nombreuses et parfois même contradictoires.
Les chercheurs et praticiens sont unanimes sur certains problèmes psychiques et les classent dans le groupe de ceux qui font obstacles au bien-être mental. Il en est ainsi de la dépression, des addictions et troubles liés à la consommation de drogues ou d’alcool, d’anxiété et de phobies, de troubles de comportement alimentaires, de troubles schizophréniques, bipolaires ou borderline.
Il en est d’autres bien plus graves. De ces maux, se trouve le trouble mental avancé. Il se caractérise par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse ou de déficiences fonctionnelles. Plus importantes sont les constitutions ou lois électorales qui en font une condition majeure et insurmontable d’inéligibilité. Plutôt que de se lancer dans une vaine aventure terminologique où chaque mot choisi prête à confusion, l’avant-projet gagnerait davantage à mettre l’accent sur ce terme, en y incorporant trois notions : l’altération mentale, la tutelle et la curatelle. Ces états de dépendance constituent un obstacle à l’élection d’un président et servent de base à la destitution d’un président en exercice.
Mais formulé tel quel, rien n’empêche la Cour Constitutionnelle de décider, sur fondement du rapport médical fourni par les experts assermentés, qu’un candidat ne serait point éligible au motif que sa santé physique est compromise par une entorse de la cheville ou que sa santé mentale est affectée en raison d’une dépression. Ce serait une décision ridicule et grotesque mais constitutionnellement fondée.
Pour terminer sur cette question – alors même que les sujets de discrimination qui n’ont pas été abordés dans ce billet restent nombreux – évoquons le cas de l’article 84 qui dispose que « la composition du gouvernement doit refléter la diversité nationale ». Le logos initial jusqu’ici utilisé demeure le même. Les Conseillers de la transition souhaitent inclure tous les guinéens, indépendamment de leur appartenance ethnique ou régionale, à la gouvernance du pays. Mais encore une fois, l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Car au fond, la difficulté que pose cette formulation réside dans ce qu’il faut entendre par « diversité nationale ». Doit-on entendre par là l’identité ? A ce titre, toutes les ethnies doivent-elles être présentes dans le gouvernement ? Ou encore faut-il plutôt miser sur la région de provenance ou d’origine de tel ou tel cadre guinéen ? Quelle entité peut donc se targuer représenter tout une région ? Sous quelque forme que l’on pose la problématique, le débat est infini. Et puis le malheur serait qu’au nom d’une logique inclusive fondée sur un critère contestable, l’on en vienne à fragmenter la nation, à atomiser le peuple. Le gouvernement n’est pas le lieu d’expression de la différence culturelle, c’est le symbole de l’Unité de la nation. Les Ministres, dans leur individualité, ne sont pas le visage d’une ethnie ou d’une langue, d’une région ou d’une religion, ils représentent la République, dans ce qu’elle a de plus rationnel. Pour nous donc, la prohibition des discriminations est suffisante pour dire que nul ne doit bénéficier d’une nomination au motif qu’il appartiendrait à une communauté quelconque.
On aurait pu parler de l’exigence de doctorat en droit public, que pose l’article 145 de l’avant-projet comme condition pour être membre de la Cour Constitutionnelle. Il aurait alors été question, somme toute, de démontrer en quoi celle-ci ne nous semble pas prendre en compte le cas de celles et ceux qui sont diplômés dans les universités anglosaxonnes, où la différence entre droit public et droit privé n’est pas si évidente.
Un procès similaire pourrait être fait aux critères posés pour la nomination d’un Premier Ministre (article 80 al 2), ceux relatifs en particulier aux domaines d’étude. Là encore, on n’aurait pas tort de dire des rédacteurs de l’avant-projet qu’ils se fourvoient. Que non seulement il est difficile de confirmer l’expertise du potentiel Premier Ministre dans l’un des domaines juridique, politique, économique, social et scientifique, parce que dans notre entendement, il ne sera soumis à aucun examen, à moins qu’un diplôme obtenu en garantisse la présomption ; qu’en même temps, il serait prétentieux de croire que parce qu’une personne ne détient pas un diplôme d’étude dans les domaines indiqués, elle n’aurait pas la capacité d’être un bon Premier Ministre.
II – Une refonte technique exubérante
L’avant-projet de la nouvelle constitution contient aussi des réformes exubérantes, lesquelles apparaissent sous la forme soit d’outils de censure ou d’outils simplement dangereux, soit portent sur des mécanismes inutiles et souvent matériellement impossibles à mettre en œuvre.
En effet, les rédacteurs, dans la reconnaissance de certaines libertés, voulaient à coup sûr éviter quelques dérives susceptibles d’en entraver l’usage. Cette logique de proportionnalité nous apparaît, dans le cas plus spécifique de la liberté de manifestation, sujet à controverse. Lorsque, à titre d’exemple, l’article 12 de l’avant-projet dispose que « Le droit de manifester est exercé pacifiquement dans le respect de la loi », il n’est pas besoin d’être un dialecticien qualifié pour comprendre le bien-fondé de cette réserve.
Dans un contexte comme le nôtre, il n’est pas impossible que d’aucuns, emportés par une colère légitime, se laissent tenter par la violence pour revendiquer certains droits. Si nous jugeons la liberté nécessaire pour l’épanouissement de l’individu, nous rejoignons John Locke dans sa démarche de rationalisation de l’usage qu’il faut en faire.
Toutefois, ce qui paraît inquiétant dans cette formulation n’est pas la formule elle-même, car il ne nous semble pas qu’il puisse exister proposition plus fine ; mais le contenu qu’on pourrait en donner, la substance qui pourrait résulter de l’herméneutique du juge. En sorte que, si par le concours d’une circulaire ou dans le meilleur des cas de l’intervention du juge, l’interprétation de l’adverbe « pacifiquement » est alambiquée, celle-ci pourrait justifier toute forme de censure : l’interdiction d’une manifestation au motif que tout porte à croire qu’elle ne serait pas pacifique ; l’usage disproportionné de la force par les services de police et l’arrestation arbitraire des manifestants, sous le prétexte facile que la manifestation a été violente. D’ailleurs, la violence des citoyens est, bien souvent, une réponse à la brutalité des forces de l’ordre. Si l’exigence d’une réécriture n’est pas ici nécessaire, il ne serait nullement fortuit d’accompagner le texte par un glossaire, expliquant le sens et la portée de certaines réserves.
D’autre part, il n’est pas exagéré de soutenir que l’avant-projet est porteur de réformes dangereuses qui pourraient compromettre la mise en œuvre de la démocratie que nous comptons bâtir. Les dangers apostrophés dans ce texte sont loin d’être manifestes. Ils s’enracinent dans le subtil présupposé des dispositions qui servent de couverture. Et ce sont ces présupposés que nous comptons interroger.
Débutons la démonstration par l’article 79, en ce qu’il est sans équivoque : « Les anciens Présidents de la République ainsi que leurs conjoints bénéficient d’avantages matériels, financiers et d’une protection, dans les conditions déterminées par une Loi organique. Cette disposition s’applique également à toute personnalité ayant exercé les fonctions de Chef de l’Etat ». Il ne s’agit pas pour nous de contester le bien-fondé de cette postulation. Car les anciens présidents, y compris leurs conjoints, méritent, de notre point de vue, le plus grand traitement qui soit. La première phrase est, en cela, très convenable. Cependant, ce qui nous paraît problématique, c’est la dernière phrase, incluant les personnalités ayant exercé les fonctions de Chef de l’Etat. Deux considérations méritent à cet effet d’être distinguées. La première concerne les chefs d’Etat intérimaire (présidents de l’Assemblée Nationale), dont le statut est conforme à la constitution. Ils assument ce rôle en cas de vacance du pouvoir. Du fait du caractère provisoire de leur mission et de la limite de leur domaine d’intervention, il ne nous semble nullement judicieux de leur conférer des avantages quelconques, autres que ceux dont ils disposent en qualité de président des institutions. Cela évitera le cumul des avantages et le gaspillage des fonds.
La seconde est relative à ceux qui s’emparent ou qui se sont emparés du pouvoir par un moyen inconstitutionnel. Il n’est pas raisonnable, quel qu’ait été la motivation de leurs actes, de leur accorder le moindre avantage. Leur pouvoir est le fruit d’une usurpation. Tout bénéfice qui en résulte pourrait être vu comme un encouragement à saper les fondements constitutionnels de notre démocratie.
On pourrait aussi invoquer les dispositions de l’article 79, lequel limite l’interdiction de prendre part aux marchés publics à une catégorie d’acteurs nommément désignés : « Le président de la République ne peut, ni par lui-même, ni par l’entremise d’un membre de sa famille ou d’un tiers, prendre part aux marchés publics des administrations ou institutions relevant de l’Etat ou soumises à son contrôle. Les dispositions des alinéas 1 et 2 s’appliquent au Premier ministre, aux membres du Gouvernement, aux Présidents des institutions de la République, au Gouverneur et aux vice-gouverneurs de la Banque centrale, aux Directeurs des régies financières de l’Etat, aux premiers responsables des corps de contrôle de l’Etat et au Chef d’état-major général des Armées ». Le procès que nous faisons à cette disposition n’est pas tant ce qu’elle affirme – car en cela, nous croyons de toutes nos forces – mais ce qu’elle légitime par son silence, par le fait de s’être arrêté au milieu du chemin. Le Constituant originaire doit sortir de son attitude frileuse et aller plus loin, en posant un principe d’interdiction globale. Par-delà les catégories citées, il faut adjoindre les membres qui composent toutes les institutions Républicaines, en plus des fonctionnaires et des agents publics contractuels. L’intérêt public ne peut s’accommoder avec l’intérêt privé. L’incompatibilité est radicale.
Mécanismes impossibles à mettre en œuvre
Parmi les outils mis en exergue, il y en a qui ne sont pas matérialisables ou en tous les cas qui pourraient l’être difficilement. C’est le cas de l’article 35 : « Tout citoyen a le devoir de participer aux élections, de promouvoir l’alternance démocratique, le pluralisme politique et syndical ainsi que tous autres principes et valeurs démocratiques consacrés par la présente Constitution ». Dans les dispositions relatives à la révision constitutionnelle, l’avant-projet valorise l’abstention en la considérant comme une voix comptable (Article 198). C’est là une grande innovation, d’autant plus que dans le cas d’un projet ou d’une proposition de révision constitutionnelle qui fait l’objet d’une consultation référendaire, si 60% des inscrits sur la liste électorale ne valident pas l’initiative de révision, elle ne passe pas. Le désintérêt manifeste du peuple est donc une arme démocratique utilisable à dessein. Comment donc comprendre que sitôt cet acquis consacré subtilement, le texte reconnaît le vote comme un devoir citoyen ? Et quelle marge de manœuvre s’offre à l’Etat pour faire respecter ce devoir en cas de refus du peuple de l’exercer ? Il en va de ce devoir comme d’un texte bavard. Il est, dans tous les cas, impossible d’en garantir la mise en œuvre.
A l’image du premier cas de figure, cette autre disposition « La présente Constitution ne peut être invalidée par une quelconque déclaration (article 201) » est d’une naïveté déconcertante. Enveloppée dans une utopie qui a le mérite de s’ignorer, elle demeure valable tant que reste en vigueur l’ordre constitutionnel. Sitôt que celui-ci est compromis par un coup d’Etat effectif, nul ne peut empêcher son abrogation, à part une force équivalente ou dans le meilleur des cas, plus puissante. Car en situation de fait, seul prévaut la loi de Calliclès, où le plus fort est assez fort pour rester le maître.
Pour conclure sur cet énoncé, nul besoin d’égrener en continu le chapelet des chimères, de citer ici par exemple la Couverture Santé Universelle (article 22), laquelle implique l’accès au soin de santé à tous les citoyens, sans contrepartie financière réelle ou exagérée. Nous considérons utopique de conférer un droit dont nous n’avons pas les moyens de garantir l’exercice. Il nous faut les hôpitaux d’abord, les médecins ensuite. Peut-être enfin se posera la question des droits.
III – Une démocratie hors de prix impossible à mettre en œuvre
Derrière l’apparente oasis de tranquillité que nous miroite cet avant-projet follement audacieux, se cache une tempête qui se déchaîne, un ouragan qui s’apprête à ravager le peu de quiétude qui nous reste. Car une fois adoptée, cette charte fondamentale, par-delà son coût financier exorbitant, nous plongera à coup sûr dans une montagne de crises à laquelle nos institutions ne sont pas préparées. Tout est ainsi fait – sans doute inconsciemment – pour exacerber les situations d’instabilité. Le président, dans ce contexte de tension, est seulement sommé de tirer les conséquences. Il n’y a pas d’autres alternatives – ni pour lui, ni pour la République. C’est cela, pour nous, le grand drame de ce projet de refondation.
L’angoisse que nous soulevons ici trouve dans l’inflation institutionnelle que nous avons décriée une justification, somme toute, incontestable. De sorte que, au moyen d’un égo surdimensionné ou de tout autre sentiment d’infaillibilité, s’il nous arrive de mettre en œuvre ces institutions, nous aurions commis une erreur d’autant plus grave qu’elle est susceptible de suffoquer notre démocratie refondée.
Prenons le nouveau Sénat. Tel que conceptualisé dans cet avant-projet, il n’est ni incontournable, ni nécessaire. En sorte que, dans les matières relatives à la législation et au contrôle de l’action gouvernementale, il joue un rôle sinon marginal, du moins de simple suppléant de l’Assemblée Nationale. Du point de vue consultatif, ses avis, dans la majorité des cas, ne sont pas opposables au pouvoir exécutif. Les seules matières où ses avis sont contraignants, sa composition en atténue les risques pour l’exécutif, en ce que le Président de la République dispose du pouvoir de désignation du tiers (1/3) des sénateurs. Du fait de la redevabilité, il n’est pas impossible, dans le fonctionnement, de voir un sénat qui joue le rôle de chien de garde du pouvoir exécutif. Cette situation pose également un autre problème démocratique qui contrarie le principe de séparation des pouvoirs : il n’appartient pas au président de désigner des sénateurs. Ce rôle devrait être dévolu au peuple ou à ses représentants dans les territoires, au moyen d’un suffrage remplissant les conditions de transparence.
Évoquons aussi le cas des institutions d’appui à la gouvernance démocratique (article 172). Que ce soit la Commission Nationale pour le Développement (art 174) ou la Commission Nationale de l’Education Civique et des Droits de l’Homme (art 177), elles sont toutes les deux des organes hautement consultatifs, dont les avis ne produisent pratiquement aucun effet contraignant.
L’avant-projet exige seulement de les saisir dans certaines matières. Ici encore, on pourrait, pour rendre l’argumentation plus intéressante, soulever deux considérations majeures. La première est de l’ordre de l’opportunité. Il ne nous semble pas pertinent de procéder à la constitutionnalisation d’institutions qui n’ont fait l’objet d’aucune forme d’expérimentation pour des raisons exploratoires.
La création d’organes, à fortiori constitutionnels, doit répondre à un besoin, justifié par des études crédibles. L’improvisation, surtout dans ce contexte, est dangereuse, en ce que, si ces institutions ne fonctionnent pas, nous serons contraints de les supporter malgré tout.
La deuxième est de l’ordre de la compétence. Nous avons déjà, à l’intérieur de nos ministères, des directions stratégiques dont le rôle est de réfléchir sur les enjeux qui les concernent et proposer des politiques publiques à la hauteur des défis qui se posent. A ces directions, s’ajoutent des cabinets de conseil qui assistent nos Ministères sur des questions de premier plan. Ce qu’il nous faut n’est pas la redondance des organes partageant les mêmes périmètres d’intervention mais une Autorité Indépendante d’évaluation des politiques publiques, dont les recommandations, contenues dans des rapports publics, doivent être prises en compte par les pouvoirs publics.
De tout cela ressort le coût exorbitant de la mise en œuvre de ces institutions, lesquelles ne nous semblent pas nécessaires. Il faudrait, de notre point de vue, y renoncer en ce sens qu’elles sont extrêmement coûteuses alors même que leurs avantages sont à ce jour impossibles à déterminer.
Aussi faut-il aborder l’autre problématique de la révision constitutionnelle, dans la mesure où les exigences formulées par l’avant-projet pour sa concrétisation sont d’une plaisanterie grotesque.
En effet, l’avant-projet indique que lorsqu’un projet ou une proposition de révision constitutionnelle est soumise au peuple, le gouvernement présente sa démission au lendemain du référendum quelle qu’en soit l’issue, et le Président de la République ne peut en aucune manière la refuser (article 198 al 7). Le seul mérite de cette innovation est de plonger notre pays dans l’instabilité, car nous ne voyons aucun lien entre l’issue d’un référendum portant sur une révision constitutionnelle et la démission d’un gouvernement. Que les ministres soient compétents, qu’importe ; que le bilan plaide en leur faveur, cela ne compte nullement. La seule chose qui a du sens à leurs yeux est le fait que le peuple se soit prononcé. L’issue du référendum est, à cet égard, sans importance.
Mais le texte ne s’arrête pas là. Il part plus loin : aucun ministre du gouvernement démissionnaire ne pourrait être reconduit. Cette réforme n’est pas seulement inopportune, elle est absurde, d’abord parce qu’elle n’apporte rien et plus encore, elle ne corrige rien.
Énergiques, vivaces, nos conseillers sont emportés, il faut le reconnaître, par une sorte de génie dont les prouesses sont ineffables. L’envie d’apporter l’inédit n’a plus de limite. Ils partent donc plus en profondeur, plus loin encore que le premier postulat. Si le projet de révision, consacrent-ils, est soumis à l’approbation du Conseil de la Nation, « Quelle que soit l’issue de ce processus, le Président de la République procède à la dissolution obligatoire de l’Assemblée nationale (art 193 al 12 et 13 ». Que faut-il donc penser ? Que nos conseillers sont hors-sol ? Qu’ils oublient que la Guinée est un pays du tiers-monde, relativement pauvre mais très endetté ? Que les moyens financiers de l’Etat sont limités ? Quelle est l’importance de toutes ces procédures ridicules et coûteuses ? Dissoudre l’Assemblée Nationale pour une révision constitutionnelle ? Cette démocratie qui nous est offerte sur une table dorée est si belle, si affriolante que nous n’avons pas les moyens de l’entretenir.
Et puis il y a aussi cette dernière fantaisie qui cloue au pilori tout espoir : « Nonobstant les procédures de révision évoquées aux alinéas précédents, aucune disposition de la présente Constitution ne peut faire l’objet de révision, avant l’écoulement de la période de trente années, à compter de la date de sa promulgation ».
Nos conseillers sont si généreux qu’ils veulent nous offrir, au bout du compte, une constitution qui est hors du temps, insusceptible d’évolution. Peu importe les fluctuations politiques, les bouleversements sociaux favorables au changement d’une disposition, tant que la période des trente ans, arbitrairement fixée, n’est pas échue, aucune initiative de révision constitutionnelle ne pourra prospérer.
Ainsi donc, cet-avant-projet constitutionnel, s’il est validé dans sa forme actuelle par le CNT, approuvé par référendum et promulgué par le Président de la Transition, il n’y a pas de doute qu’il n’aura pas longue vie. Plus facile à abroger, il mourra avant même d’avoir véritablement existé, avec ses espoirs, ses ambitions et surtout ses institutions qui résistent au temps et à la tentation des hommes.
Peut-être faut-il, à ce stade, non par manque de souffle mais par désir de tempérance et de proportionnalité, nous limiter là en ce qui concerne la critique de ce très inadapté et désincarné avant-projet. Mais qu’on ne s’y méprenne point : le choix d’arrêter ici la critique n’implique nullement que le texte ne regorge plus d’autres éléments problématiques, très susceptibles d’être déconstruits pour n’être pas dignes de cet ardent rêve de démocratisation radicale qui est le nôtre, pour leur manque de prise en compte du réel guinéen dans toute sa déclinaison anthropologico-sociologico-historique, pour leur manque d’imagination et de génie lorsqu’il a été question de donner la meilleure articulation possible d’une solide future République de Guinée.
Mais puisqu’il fallait bien s’arrêter quelque part, nous n’aurons fait, ici et maintenant, que le choix de nous en prendre aux dispositions qui nous ont directement sauté aux yeux comme inadaptées et comme potentielles sources d’imbroglios juridiques et politiques. Et la construction de la République étant une affaire collective, nous laissons ainsi le choix à d’autres compatriotes de mettre en évidence, dans leurs critiques en cours ou à venir, d’autres aspects sur lesquels notre regard ne sera pas arrêté assez longtemps. Ce choix acté, que faire ensuite ? Par quelle vision remplacer la République bancale, boiteuse que nous propose le CNT ? N’ayant pas cette mauvaise habitude de nous arrêter au milieu du gué, c’est naturellement à ce travail de proposition d’une autre voie que nous nous attellerons dans notre prochain et dernier billet sur ce sujet.
Alpha Saliou est diplômé en Droit Public des Affaires de Paris 12 et en Management des Affaires Publ...
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