Afrique, Analyse, Opinions • 4 septembre 2023 • Ali Camara
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Image source: Les Concernés
L’ayant vu à l’œuvre pendant plusieurs années sur les terrains de la gestion administrative et du leadership politique –, une grande partie des Sénégalais considèrent aujourd’hui Ousmane Sonko comme un citoyen digne de confiance et porteur d’une vision salutaire de l’engagement républicain.
Panafricain convaincu largement enraciné dans les valeurs démocratiques, Sonko se distingue de ses adversaires par une double intransigeance qui façonne son identité politique : sa capacité à unir le peuple sénégalais autour d’une nouvelle alternative et sa lutte âpre contre la vassalisation du Sénégal par les intérêts occidentaux, surtout français. Ces deux marques de fabrique en font, pour le pouvoir de Macky Sall, l’ennemi à abattre. Mais pour bien de jeunes Sénégalais – et Africains observant avec intérêt ces temps durs que traverse la jeune et autrefois célébrée démocratie sénégalaise – Sonko est une pépite à préserver. Autrement dit, l’idée que l’écrasante majorité des jeunes sénégalais et africains se fait de Sonko est celle d’un souverainiste combattant pour la libération et l’émancipation des peuples sénégalais et africains, comme l’indique d’emblée le nom de son parti politique – Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).
S’il est vrai que je ne dispose pas d’éléments concrets pour confirmer ou infrimer les allegations de viol qui ont un temps pésé sur le président du Pastef, il m’est dificile de voir autre chose dans la façon dont s’est déroulé le soi-disant procès qui a débouché sur la condamnation de Sonko, qu’un acharnement de la machine repressive de Macky Sall contre le seul opposant susceptible de faire chavirer son projet de troisième madat. A en croire le chef d’accusation socratique qui a finalement été retenu contre lui – corruption de la jeunesse – le crime de Sonko serait d’être trop populaire, d’être l’opposant des jeunes et, ce faisant, d’incarner l’alternance et le dégagisme auxquels aspirent une écrasante frange du peuple sénégalais.
La dépravation sexuelle et la corruption de la jeunesse sont donc les deux cartes dont se sert aujourd’hui le pouvoir de Macky Sall pour clouer Sonko au pilori, l’empêcher de dynamiter le projet de troisième mandat qui de plus en plus prend forme dans les discours évasifs et équivoques du président Macky Sall. Si la 1ère accusation est fantaisiste et n’a pu retenir l’attention des juges vraisemblablement aux ordres du Palais de la République, le deuxième chef d’accusation et la condamnation qui en a résulté sont encore plus choquants. Cela rappelle sans doute les méthodes classiques employées par les pouvoirs mourants pour se maintenir à tout prix.
Le souverainiste guinéen et jeune panafricaniste que je suis observe avec grande amertume et profond intérêt le théâtre que le Sénégal de Macky Sall nous fait du cas Sonko. Amertume pour ce que le procès ubuesque symbolise vraiment : l’acharnement contre un opposant aimé du peuple et la mort annoncée de l’exception démocratique sénégalaise dans une sous-région ouest-africaine qui renoue avec la démocraticide et la violence politique qui va avec. Profond intérêt pour ce que le cas Sonko révèle de, et devrait signifier pour, la Guinée. Ce que ça révèle : le ridicule festival de l’entre-soi complaisant et du vide politique qu’offre l’opposition dite républicaine en Guinée. Ce que ça devrait signifier : l’urgence d’avoir chez nous un leader comme Sonko.
Si la Guinée, en 2020, avait un leader de la trempe de Sonko, Alpha Condé n’aurait probablement pas été si loin dans son funeste projet de troisième mandat. Hélas, même le FNDC – principal contre-pouvoir de ce moment-là – n’a pas pu se mettre au-dessus de la très compromettante mêlée politique guinéenne, alors même qu’il livrait un combat historique et salutaire contre le régime d’Alpha Condé. Car en ouvrant la possibilité d’adhésion aux partis politiques existants, le FDNC a pris le risque de rendre siennes des querelles partisanes qui n’avaient rien à chercher au sein d’un groupement de mouvements de société civile se disant œuvrer pour la culture de l’alternance et le respect des droits des guinéens.
Au fond, et parce que se réclamant d’une société civile indépendante et affranchie du jeu politique habituel, le FNDC aurait dû avoir pour but d’unir les guinéens derrière un agenda démocratique commun. Cet échec a ainsi atomisé la lutte républicaine en Guinée, fracturé l’alliance du peuple et légitimé enfin la prévalence du clivage ethnique.
C’est tout à fait le contraire au Sénégal, même s’il est bien vrai que le peuple, paradoxalement, est une entité difficile à cerner. Forcément, on trouvera toujours des gens horribles pour soutenir une cause ignoble. Un régime, quelle qu’eut été sa trajectoire au demeurant, aura toujours des soutiens. Et j’avais d’ailleurs, dans un de mes précédents textes, rappelé que les grands maîtres de la confrérie mouride n’étaient pas si emballés par Sonko.
Néanmoins, il faut reconnaître que la majorité de la jeunesse sénégalaise, l’opposition sénégalaise dans sa diversité, ainsi qu’un nombre important d’Africains épris de démocratie et de justice, soutiennent avec force et conviction le combat démocratique et l’émergence panafricaine qu’incarne Ousmane Sonko. Cela montre à quel point il est cohérent et peut-être surtout, sincère dans sa lutte. Et si demain il en venait à changer, comme le pouvoir peut corrompre, il est clair qu’il sera détesté et désavoué par ceux qui l’auront soutenu par pure conviction.
En Guinée, nos hommes politiques ne sont pas clairs, en tous les cas pas assez. S’ils n’ont pas un passé obscur pour lequel ils devraient rendre des comptes, ils entretiennent des réseaux douteux, une politique de parti au détriment de celle pour le pays.
On me dira, je l’entends d’ici, que la Guinée n’aurait pas seulement un problème de leader ; qu’elle aurait surtout un problème d’engagement citoyen pour un combat qui dépasse les petits intérêts et les enclos éthiques. C’est vrai, il y a un nombrilisme exacerbé en Guinée. Mais il revient toujours aux leaders politiques de transcender ces questions pour amener leurs concitoyens à voir le chemin républicain ; le défi et la responsabilité de nos leaders est de ne pas faire de l’engagement pour la République un entreprenariat où le seul capital serait les divergences (idéologiques, ethniques et religieuses) et les dissensions irrationnelles de leurs concitoyens.
Pour le dire autrement, c’est l’hétérogénéité de ses soutiens qui confère à Sonko la légitimité qui manque à nos leaders politiques. On retrouve toutes les sensibilités ethniques, religieuses, politiques, intellectuelles dans son combat contre Macky Sall et son régime. C’est probablement ce qui lui donne tant d’assurance et une raison valable d’espérer, en ces temps de tempêtes, que le combat pour le Sénégal finira par avoir raison du combat pour Macky.
Alors que j’écris ces lignes, le Sénégal a déjà enregistré assez de morts dans les affrontements entre les jeunes dégagistes, porteurs d’idéaux qu’ils ne retrouvent plus en Macky Sall, et les forces de l’ordre. Beaucoup trop de familles sénégalaises ont été endeuillées en plus de deux ans de contestation populaire. La violence n’est pas une solution. Et je n’ai cessé de réitérer le même appel pour la Guinée. Pour autant, Macky Sall, en voulant coûte que coûte mettre Sonko en prison, ne rend-t-il pas les affrontements inévitables ?
Les esprits qui font cependant la corrélation entre la lutte démocratique au Sénégal et un certain milieu politique guinéen – qui est dans la contestation des autorités de transition – n’ont pas idée de ô combien nos hommes politiques connaissent bien et mieux leurs propres limites. Pour être et faire comme Sonko, il faut en avoir la légitimité sans équivoque. Le parcours du leader du Pastef est inspirant et malgré ses inquiétudes, il a répondu à l’appel de la justice de son pays et jusqu’à preuve du contraire, il ne s’est jamais défilé. Il a mis, par cet acte citoyen et de grandeur d’homme, la justice de son pays à l’épreuve.
Nous savons que les partis politiques guinéens, notamment le RPG ou encore l’UFDG et leurs satellites sont encore dans les clivages ethniques. D’ailleurs, ils ne sont grands que par le fait d’être soutenus, chacun en ce qui le concerne, par l’une des deux ethnies majoritaires du pays. Or, Sonko appartient à une ethnie très minoritaire au Sénégal, les « diolas » ou « joolas », qui font à peine 3% de la population sénégalaise. Il a donc réussi un pari qui reste du domaine du rêve en Guinée : fédérer autour de soi un nombre considérable de ses concitoyens par l’unique force de ses convictions et la clarté de sa vision pour son pays. A tous ceux aspirent à faire de la politique, la leçon de Sonko est que, dans nos nations postcoloniales où se côtoient plusieurs ethnies et autres identités, le véritable leadership républicain consiste à aller au-delà des enclos ethniques pour toucher le cœur de nos compatriotes qu’on aspire à gouverner.
Ali est diplômé en Droit des Affaires de L’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLC-S ). I...
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