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Les marchés publics en Guinée : Plaidoirie pour une refonte juridique et juridictionnelle

Analyse, Essais, Politique • 28 août 2025 • Alpha Saliou DIAKITE

⏳ 25 min de lecture

Les marchés publics en Guinée : Plaidoirie pour une refonte juridique et juridictionnelle

Le service public s’est métamorphosé en marché financier où la corruption fait la loi ; la malversation, la jurisprudence.

La commande publique en Guinée est aux arrêts, suspendue dans un code des marchés publics inerte dont l’ombre continue encore aujourd’hui à nous tourmenter. Personne ne s’y réfère, ni les acheteurs publics, encore moins les opérateurs économiques soumissionnaires.

Les connivences, sous couvert d’un éventail sombre identifié sous le pittoresque nom de « gré à gré » ou celui plus saugrenu « d’entente directe » ont connu, ces dernières années, un essor fulgurant. Le recours à la marchandisation des marchés aux plus offrants a substitué l’impératif de contractualisation de l’action publique. 

Dans cet engrenage de réseautage et de contournement de la loi, les principes fondamentaux de libre accès à la commande publique, de transparence, d’égalité de traitements, de bonne utilisation des deniers publics apparaissent littéralement galvaudés. 

Un festin du crime s’organise donc autour de l’argent du contribuable sous la vigilance des pouvoirs publics et des acteurs économiques privilégiés. Tous sont au courant de leur forfait et font semblant de normaliser la forfaiture.

Des Ministres commerçants ; des Directeurs Nationaux chefs d’entreprises ; des chefs de divisions et de sections parrains des opérateurs économiques. Les conflits et prises illégales d’intérêts sont portés jusqu’à un haut degré d’incandescence devant le regard approbateur et tragiquement coupable d’un procureur aveugle, d’une autorité des Marchés Publics qui rappelle autrefois la théorie rétrograde « de la justice retenue » et enfin d’un juge de l’administration complètement inexistant. Ils brillent, tous autant qu’ils sont, tantôt par leur mutisme mortifère, tantôt par leur complicité affligeante.

Le service public s’est métamorphosé en marché financier où la corruption fait la loi ; la malversation, la jurisprudence. Tous ceux qui y sont entrés en sortent avec une richesse insolente, grâce naturellement à l’astuce du siècle, la tactique de génie : le bradage éhonté des marchés, des concessions de service public et des partenariats publics privés.

L’accès à la haute administration publique suscite, dans cette atmosphère de complaisance collective et de consentement populaire sur les détournements de fonds publics, toutes les convoitises. 

La course effrénée vers la richesse individuelle facilitée par la confiscation des ressources publiques sous l’empire de la libéralisation sauvage opérée par le deuxième régime a participé à la normalisation des jeux de connivence au péril de la sacro-sainte nécessité de sécurité juridique des contrats publics. Il n’est guère étonnant de voir, dans ce contexte, le surgissement d’une nouvelle élite embourgeoisée à mesure que les régimes changent. Chaque cadre nommé veut en profiter au maximum en attendant sa chute prochaine. 

La commande publique est donc le lieu commun de la mise en pratique de cette tentation individualiste.  La raison n’est pas à chercher loin. En effet, le législateur a encadré de façon non seulement grotesque mais complètement anachronique la commande publique en Guinée. Le Code des Marchés Publics guinéen est le fruit d’un travail nonchalant, insuffisant et parfois même incohérent qui peine à s’adapter au présent. En ce sens, il est devenu – malgré lui – un élément de légitimation de la forfaiture d’Etat.

Cette limite se double d’une absence d’un cadre prétorien organisé où les juges, en l’absence d’un droit positif riche et précis, vont, comme dans les Etats européens par exemple, inventer, enrichir ou compléter le droit applicable à la commande publique. 

Ce vide prétorien couplé d’une insuffisance juridique est sciemment exploité par bien d’autorités politiques pour justifier des marchés passés dans des conditions purement et simplement opaques. 

C’est précisément cette opacité que cet article prétend révéler en mettant un accent particulier sur les insuffisances de la loi et l’inexistence de la jurisprudence, deux éléments indissociables pour réguler convenablement la commande publique en Guinée. 

Mais d’abord faut-il rappeler, en quelques mots, l’historique du recours au contrat administratif en Guinée ; la raison et l’importance de ce mécanisme qui concentre tant d’attention ; de même que l’entourloupe qui entoure leur passation. 

Le couple contrat et action publique, un mariage plutôt récent en Guinée

La mort du président Sékou Touré a entraîné l’effondrement immédiat du système marxiste en Guinée dans lequel l’Etat gérait la quasi-totalité du système productif. Les manufactures d’Etat, favorisées par la restriction du libre exercice des professions libérales en application de la loi cadre du 08 novembre 1964, vont être démantelées au profit d’un libéralisme tentaculaire sous l’empire du régime Conté. 

La privatisation des moyens de production prend de plus en plus forme et le recours exclusif aux actes unilatéraux pour réaliser les nombreuses missions d'intérêt général s’interrompt graduellement. Le recours à un nouveau type de contrat aux caractéristiques à la fois dérogatoire et inégalitaire commence très vite à éclore.

Une mutation paradigmatique s’opère donc, viscéralement. L’Etat, noyau autrefois indéboulonnable de l’unilatéralité n’échappe plus dorénavant au champ contractuel. Plantant en Guinée les racines de « l’administration contractuelle », cette nouvelle philosophie trouve dans la déclaration primordiale du 03 avril 1984 les premiers fondements de son éclosion. Le colonel Lansana Conté, à la tête du CMRN, prend l’engagement, dans ce discours inaugural, de réajuster l’économie.  

La nouvelle politique économique élaborée par les autorités guinéennes, présentée sous la forme d’un discours-programme prononcé le 22 décembre 1985 aura pour mission de concrétiser cet engagement initial. 

Des mesures d’équilibre économique, de dynamisation de la concurrence, d’incitation à la création des entreprises vont se succéder. L’objectif est de rendre la Guinée compétitive sur le plan économique. 

Un cadre normatif se dessine pour donner corps aux nombreuses réformes envisagées. La loi fondamentale du 22 décembre 1990 est le premier texte fondateur de la nouvelle rupture idéologique. Le système de pensée hérité des indépendances est évincé et substitué par la philosophie concurrente : le libéralisme.

Sur le plan juridique, en l’occurrence de la commande publique qui se construit, les avancées sont sans commune mesure. Les préalables du droit administratif contractuel commencent à prendre leur essor, sous la bannière des principes fondamentaux du droit économique que la nouvelle constitution reconnaît. 

Cependant, s’il est vrai que les dispositions de la nouvelle charte fondamentale ne font guère référence aux contrats publics de façon explicite il n’en demeure pas moins qu’implicitement, il reste possible de déduire de certaines normes structurantes ce qu’il est loisible d’appeler de nos jours « les principes fondamentaux de la commande publique ».

Ces normes structurantes sont relatives au principe d’égalité (affirmé dans le préambule et à l’art 9) ; au principe de libre administration économique (art.19 al.1) ; au principe de liberté et d’égalité d’accès à la richesse publique (art.19 al.2) ; au principe de transparence et de bonne utilisation des deniers publics (art.23). 

Cet édifice contractuel qui s’organise s'adosse aussi à la loi, qui est la condition non seulement de son existence mais la garantie juridique de sa validité. Ainsi, le constituant originaire a confié au législateur (art. 59) la compétence de légiférer dans le domaine économique, lequel inclut tout naturellement le vaste champ contractuel. 

Les lois de finance de 1994, 1995 et 1996 vont, à tour de rôle, définir le périmètre d’assujettissement des marchés publics à la fiscalité. Un schéma contractuel inédit, favorable à l’intensification de l’utilisation de la commande publique comme un levier majeur de réalisation des missions d’intérêt général et une stratégie viable de développement économique, se pérennise fortement. L’encadrement législatif de la commande publique se pose désormais comme une nécessité absolue. 

C’est après donc les élections parlementaires du 11 juin 1995, instituant de façon effective l’Assemblée Nationale, que deux textes décisifs viendront poser les tout premiers fondements législatifs des contrats de la commande publique en Guinée. 

Il s’agit tout d’abord de la loi L/97/016/AN du 03 juin 1997 portant code des marchés publics en République de Guinée et la loi L/2004/001/AN portant loi de finances pour l’année 2004, instituant le code général des impôts. On pourrait adosser à ces textes législatifs principaux plusieurs autres lois qui s’appliquent peu ou prou aux contrats publics en Guinée. C’est le cas du code de l’environnement ; du code civil ; du code pénal ; du code de procédure civile et administrative ; du code de la construction et de l’habitation, du code des collectivités locales etc. 

Dans cet océan textuel, la commande publique apparaît comme un droit morcelé, sédimenté, à mi-chemin entre des notions connexes, concurrentes et parfois même, contradictoires. Sa lisibilité devient un sujet à fort enjeu, d’abord économique et surtout politique. Différentes institutions sont mises en place pour faciliter ce travail. 

En plus des organes juridictionnels d’ores et déjà existants, une structure de contrôle est créée et placée sous la responsabilité du Ministre de l’Economie et des Finances : la Direction nationale de contrôle des marchés publics ; ainsi qu’une autorité administrative indépendante : l’Autorité de régulation des Marchés Publics.

Les mutations textuelles, qu’elles soient constitutionnelles (Constitution du 23 Décembre 2010 ; Constitution du 07 avril 2020) ou encore législatives (Loi du 11 octobre 2012 ou du 17 décembre 2019 portant code des marchés Publics ; Loi du 4 juillet 2021, portant code général des impôts) n’ont pas remis en question les principales réformes systémiques qui ont été initiées dès l’origine par le CMRN.

Sur le plan sous-régional, la construction du marché commun comme socle du développement économique des Etats membres de la CEDEAO exigeait l’adoption de nouvelles mesures relatives à la concurrence. 

C’est précisément dans ce sillage que seront rédigés en 2007 à Abuja un document de Cadre Régional de Politique de la Concurrence et deux Actes Additionnels portant d’une part sur l’adoption des Règles Communautaires de la Concurrence et de ses modalités d’application au sein de la CEDEAO et d’autre part, sur la Création, les attributions et le fonctionnement de l’Autorité Régionale de la Concurrence (ARC) de la CEDEAO. A cela s’ajoutent les règles relatives à l’organisation et à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, lesquelles encadrent la création, le fonctionnement et la dissolution des sociétés commerciales. 

Comme nous le voyons désormais, un environnement juridique et institutionnel national et sous-régional est bâti et le recours à la contractualisation comme outil d’efficacité de l’action publique se généralise.

Partout, y compris sur des segments autrefois gérés en régie, les collectivités publiques abandonnent leur monopole et associent des structures privées expertes à la réalisation des missions d’intérêt général. 

Ce nouveau paradigme a été pensé dans l’intérêt du service public qui ne cesse de se complexifier et dont le fonctionnement nécessite que des acteurs différents y prennent part. Cette « démocratisation de l’action publique » avait pour objectif d’accroître l’efficacité des achats des collectivités publiques, de favoriser la meilleure satisfaction de leurs besoins, du moins en principe. 

Dans les faits, ce procédé a été sciemment détourné pour enrichir une certaine catégorie d’agents publics, de hauts fonctionnaires d’Etat et de dirigeants de premiers plans. 

La commande publique en Guinée s’est transformée en lieu d’exploration de toutes les stratégies sophistiquées de détournement des fonds publics. Une machine rodée de contournement des règles a été mise en place et celle-ci continue, encore aujourd’hui, à produire des effets absolument nocifs faisant obstacle à la croissance du pays. 

Il s’agit entre autres de la création d’entreprises de façade, d’attribution de marchés sur fondement de copinage administratif, de cooptation d’entreprises familiales, de marchandages des marchés aux opérateurs offrant le maximum d’avantages ou encore de surfacturation des prestations et de bien d’autres stratagèmes aussi pernicieux les uns que les autres. 

Tout ce bradage, orchestré ou tout au moins encouragé au plus haut sommet de l’Etat, est possible du fait d’un code des marchés publics inadapté et d’un écosystème juridictionnel inexistant.

Le Code guinéen des marchés publics est anachronique et doit être renouvelé

Tout effort d’analyse du code des marchés publics en Guinée se heurte à un Rubicon dont on sait dès le départ qu’il est difficile à franchir. Aucun commentaire de quelque nature qu’il soit ne porte sur ce texte législatif majeur, de sorte que pour mieux l’appréhender, en comprendre les subtilités, il demeure indispensable d’aller interroger les livres de droit des marchés publics français qui traitent des codes de 2001, 2004, 2006 et 2018. Cela peut sans doute paraître curieux. Pourquoi chercherait-on ailleurs des explications sur un contenu textuel qui est réputé provenir du génie créateur de nos législateurs ? La réponse est pourtant simple : comme la plupart de nos lois, le code des marchés publics guinéens est un produit importé, une œuvre pensée ailleurs pour satisfaire les besoins en achat d’administrations qui sont fondamentalement différentes des nôtres. Nous l’avons adopté, sans même daigner en changer le contenu, sans même essayer de l’adapter à nos réalités. 

Le premier vice qui décrédibilise ce texte est tout d’abord qu’il est le résultat d’un mimétisme manuel, d’une singerie conceptuelle et philosophique, sans effort minimum d’adaptation. Tout dans ce code, à part les efforts minuscules d’appropriation, résulte d’un imaginaire français et européen. 

Le deuxième vice est encore plus grave. Il découle d’une absence de maîtrise d’une notion aussi élémentaire qu’est « la hiérarchie des normes », laquelle voudrait que les règles s’organisent de façon pyramidale de sorte qu’à chaque palier de la pyramide, les normes en deçà tirent leur validité des normes au-dessus. 

Sur la page de garde de notre magnifique code, on peut lire ceci : « le décret portant code des marchés publics en Guinée ». La loi serait donc adossée à une mesure réglementaire qui lui est inférieure. Quel magma ! Ni le décret de promulgation encore moins les décrets d’applications ne peuvent prétendre porter une loi. Qu’est-ce donc que cette innovation ridicule qui fait d’un décret la norme de validation d’une loi ? Quel enseignement pourrait-on en tirer ? que la loi serait indétachable du décret porteur ? que l’abrogation de celui-ci entraînerait la disparition de celle-là ?       

Or la confusion ne s’arrête pas sur les seuls éléments de forme. La substance du texte est encore plus révélatrice de son inadéquation avec la réalité. Les points de contraste sont nombreux. Peut-être faut-il se limiter aux plus flagrants. 

Commençons par l’aspect définitionnel, c’est-à-dire la perception du législateur guinéen sur ce qu’est un marché public.  En application de l’article 1er de la loi du 11 octobre 2012 (L/2012/N°020/CNT), un marché public est perçu comme « un contrat écrit, conclu à titre onéreux ». Sans aller jusqu’au bout, deux éléments attirent notre attention et montrent ici le caractère équivoque voire exclusif de certaines considérations.

D’abord la dimension contractuelle. Quoiqu’en disent les doctrinaires suspicieux justifiant leur réserve par la prégnance, dans les contrats administratifs, des clauses exorbitantes de droit commun, il n’y a pas de doute sur le caractère contractuel des marchés publics. S’ils ne sont pas, du moins dans l’intégralité de leur contenu, des contrats à part entière, il n’en demeure pas moins qu’ils sont, du fait de l’accord de volonté qui les féconde, des contrats entièrement à part. Une telle spécificité traduit deux évidences insécables : l’inégalité contractuelle et l’exorbitance du régime juridique applicable. 

Ensuite, vient le caractère écrit considéré par le législateur comme un « critère » incontournable d’identification des marchés publics en Guinée. Ce critère, quand bien même nous comprenons l’importance du formalisme en droit administratif, nous apparaît foncièrement problématique car il soustrait du périmètre du code des marchés publics des pans entiers de contrats administratifs conclus à titre onéreux. 

Les achats publics ne sont pas toujours écrits, du fait de l’insignifiance de certains montants. Cela peut aller de l’acquisition d’un stylo à des fournitures dérisoires qui coûtent le prix d’un pain. Et malgré cela, ils restent dans le champ d’application du code des marchés publics et l’impératif de la bonne utilisation des deniers publics trouve toujours à s’appliquer, peu importe le coût d’achat. 

L’écrit, aussi important soit-il, ne devrait pas être une condition de qualification ou d’existence d’un marché mais une condition de validité d’une procédure. En France, le formalisme (l’écrit) est obligatoire à partir de 25 000 € HT. On pourrait s’inspirer de cette pratique par exemple. 

Il faut donc éviter les confusions définitionnelles qui pourraient faire croire à des agents publics aux intentions malveillantes que refuser de mettre les contrats conclus à titre onéreux par écrit feraient échapper ces derniers au régime juridique des marchés publics.

D’autre part, s’il n’est pas nécessaire de revenir sur tous les points du code de peur que cet article interpellatif ne soit démesurément long, certains points pourraient être convoqués ici. C’est le cas de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP). En dépit de son rôle important dans le règlement des contentieux défini aux articles 10 et 15 du code, elle ne parvient plus à assurer la supervision rigoureuse des procédures. Plusieurs cas de marchés attribués en violation des règles de publicité et de mise en concurrence sont restés impunis, ce qui affaiblit la crédibilité de cette institution et nourrit un climat favorable à l’accroissement des pratiques opaques (favoritisme, conflit et prise illégale d’intérêt.) 

Aussi, le code ne prend pas suffisamment en compte les avancées majeures en matière de techniques d’achat modernes. Alors que les procédures traditionnelles (appel d’offres ouvert ou restreint) demeurent les seules autorisées, des pratiques telles que l’achat groupé, la négociation électronique ou les systèmes dynamiques, couramment utilisés à l’international pour améliorer la transparence, la compétitivité et la rapidité des procédures, sont totalement absentes du cadre légal. Ce retard prive la Guinée d’outils efficaces pour optimiser ses dépenses publiques. 

On pourrait ajouter à ce tableau alarmant l’insuffisance d’un cadre digital propice favorable à la traçabilité des procédures, gage de lisibilité et de transparence. S’il est vrai que le Ministère des télécommunications a développé récemment, en partenariat avec le Rwanda, une solution numérique (Télémo) facilitant la gestion de la commande publique en Guinée, il n’en reste pas moins que cette dernière reste à ce jour largement inusuelle, maintenant l’écosystème à l’abris de toute modernisation. À cette impasse législative, se hisse une autre bien plus grave : l’inexistence voire l’insuffisance d’un réel cadre prétorien.  

L’office du juge administratif contractuel doit être aménagé  

Le contentieux administratif en Guinée est complètement marginal, voire inexistant. Il sommeille encore dans ce vieux code de procédure civile qui n’a d’étiquette administrative que de nom, baptisé ainsi pour des raisons purement et simplement esthétiques. Au fond, hormis quelques petits articles, ramassés ça et là dans des bouquets historiques de droit français, cet ensemble législatif est – il faut oser cette critique – inadapté et peut être même déphasé pour le droit administratif. 

Le seul contentieux qui existe en Guinée est sans conteste le contentieux de droit privé. Les magistrats, les avocats, enfin tout le corps judiciaire sont essentiellement le produit de ce droit, leur culture juridique est donc limitée strictement aux relations entre particuliers. L’univers administratif et les règles spécifiques qui lui servent de socle leur est inaccessible. 

Le droit administratif, contrairement au droit privé, est un droit fondamentalement prétorien, c’est-à-dire casuel dont la codification est dite généralement de « droit constant » reprenant, du moins pour la plupart, les considérations d’ordre jurisprudentiel existantes. C’est donc un droit en renouvellement permanent qui en appelle au génie créateur d’un juge audacieux et subtil qui comprend la mutation de l’intérêt général et s’évertue à en saisir les enjeux au nom d’une plus grande sécurité juridique des actes et contrats.

L’absence d’une dualité juridictionnelle en Guinée ne fait pas obstacle à l’existence d’une dualité contentieuse. Le particularisme donc du système juridictionnel guinéen n’explique pas la monotonie de la pratique judicaire.

En Guinée, il existe, du moins dans la forme, un seul ordre de juridiction dans lequel cohabite deux types de juge, ou si l’on veut, un unique juge à la double casquette judiciaire et administrative. Le premier – banal – est l’ami et l’interprète de la loi ; le second – créateur – est à mi-chemin entre deux rôles qui s’opposent : tantôt interprète ; tantôt géniteur de la loi. C’est donc un maçon qui est ou qui devrait être à la fois au four et au moulin. C’est cet élan paradoxal de la double mission contentieuse du juge administratif qui en fait, dans la forme, le sage le plus puissant de notre système judiciaire. 

Or dans la réalité, ce grand juge est privé d’existence. Son rôle est accessoirisé par une volonté politique qui veut à tout prix se soustraire du contrôle juridictionnel. Cela rappelle hélas le vieux dicton de « l’administration ne peut mal faire » ou la théorie scandaleuse de « l’irresponsabilité administrative ». 

Au fond, une seule procédure administrative contentieuse est en phase exploratoire en Guinée. Il s’agit du « recours pour excès de pouvoir » (articles 36 ; 88 à 97 de la loi organique portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême), lequel est soumis à la compétence exclusive des sages de la haute juridiction judiciaire. L’introduction d’ailleurs de ce recours dans la loi organique ci-dessus est tributaire d’une faute de syntaxe, justifiant la méconnaissance du champ d’application de ce droit exorbitant. 

En effet, la loi évoque « le recours en annulation pour excès de pouvoir ». C’est une faute intolérable que seul un législateur amateur peut commettre. La confusion résulte de l’usage de l’expression « excès ». Pour notre législateur, il s’agirait là de demander l’annulation d’un acte administratif sous prétexte qu’il y aurait eu abus de pouvoir.  Sans entrer dans les définitions de concept, cette appréhension est inexacte. 

Le REP est exercé contre un acte administratif pour cause d’illégalité. C’est donc un recours en annulation. On ne peut pas dire par exemple « recours en annulation pour annulation ». Cela n’aurait aucun sens. La formule exacte aurait été REP ou recours en annulation. La conjonction de coordination ici a toute son importance. Elle montre que les deux expressions, du moins dans ce contexte, sont interchangeables quand bien même le recours en annulation ne se limite pas au REP.

Cette négligence montre bien l’impréparation du juge judiciaire guinéen à accueillir un autre paradigme susceptible de l’engloutir, ou à défaut, de l’invisibiliser. C’est pour cette raison, et revenant à notre sujet, que le contentieux administratif contractuel est littéralement absent en Guinée. 

Le plein contentieux, recours administratif « subjectif » sous la bannière duquel sont ou devraient être résolus les litiges contractuels, n’existe en Guinée que de nom, d’abord dans le CPCA et ensuite dans la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement de la cour suprême. 

Dans le premier comme dans le second texte, le législateur n’aborde le contentieux de pleine juridiction que sous un prisme complètement marginal. On peine même à comprendre le contenu qu’il donne à ce recours. Ce travail insuffisant et incomplet plonge le juge judiciaire aux compétences ponctuellement administratives dans l’embarras et le terre hélas dans l’inaction.

L’inflation du recours au contrat administratif comme alternative à la gestion unilatérale de l’action publique ne s’est pas accompagnée d’une révolution de l’office du juge de plein contentieux contractuel. Deux arguments pourraient expliquer ce phénomène.

Le premier semble être la saisine. Le contentieux contractuel de droit public étant complètement méconnu, les justiciables ne saisissent pratiquement jamais le juge. Or à défaut de la loi, seul le juge peut définir ou même élargir son propre périmètre d’intervention. L’exemple de la France est emblématique de ce point de vue. L’émergence du droit administratif est la conséquence de la montée en puissance du rôle du juge administratif. C’est lui, parce que régulièrement saisi, qui est l’artisan du droit administratif, bien sûr en recourant souvent, presque toujours, aux œuvres richissimes d’une doctrine extraordinairement féconde.

Le second réside dans la méconnaissance de l’identité du droit administratif. Paradoxalement confondus aux contrats de droit privé, les contrats de droit public, en dépit de leur usage constant, ne bénéficient toujours pas d’une structure contentieuse lisible et cohérente, facilitant leur justiciabilité. Ce défaut produit l’inconvénient d’exonérer de fait les acheteurs publics de leur devoir d’observer scrupuleusement les grands principes qui entourent la passation des contrats de la commande publique. Que risquent-ils au fond en cas de corruption si quoi qu’il arrive, aucun juge ne sera saisi ? Voilà l’impasse. 

Pour libérer la commande publique de la prise d’otage dont elle est victime, l’ingénierie juridique est nécessaire mais insuffisante. Comme nous l’avons démontré, sans une révolution du contentieux contractuel, la réforme du code des marchés publics serait inachevée, car s’arrêtant au milieu du gué. 

Ce travail doit commencer par une tempérance qu’il faudra apporter au principe de l’effet relatif du contrat qui le protège de l’intrusion des tiers. Le contrat, qu’il soit administratif ou civil, n’est plus la chose exclusive des parties. Les enjeux sont tellement immenses que des acteurs exogènes intéressés à la transparence des procédures doivent avoir des marges de manœuvre juridictionnelles qui doivent leur être ouvertes. 

Il faut donc briser la doxa de l’inviolabilité contractuelle et ouvrir le prétoire du juge de plein contentieux aux tiers : les concurrents évincés, les usagers du service public, les associations, certaines personnes publiques et même certains acteurs politiques (députés).

L’office du juge judiciaire doit être complètement révolutionné. Une métamorphose est indispensable en vue d’accentuer le contrôle juridictionnel des contrats publics en Guinée, en particulier ceux de la commande publique. 

A cet effet, des nouvelles voies de droit doivent impérativement émerger, non point de façon disparate, mais de manière à uniformiser le contentieux des contrats administratifs devant un seul juge, celui administratif. 

Cela suppose de briser la double fonction de nos juges traditionnels. Il ne s’agit pas, comme en France, de créer ex nihilo un ordre juridictionnel spécifique qui connaîtrait de manière exclusive le contentieux de l’administration. Ce système sera très coûteux pour un résultat peu certain. Le monisme juridictionnel en Guinée, si la dualité contentieuse est affective, peut parfaitement s’adapter aux exigences d’un Etat de droit respectueux du principe de la séparation des pouvoirs. 

Il faudrait en revanche provoquer la naissance d’un juge administratif propre qui se distingue ontologiquement (dans sa nature et ses fonctions) et même épistémologiquement (dans sa méthodologie) du juge judiciaire. 

Le principe de l’unité des juges doit être déclassé et sur ses ruines, construire et légitimer le principe de la séparation des fonctions de juge administratif et de juge de droit privé. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de dualiser de façon effective le contentieux juridictionnel en Guinée. 

En d’autres termes, la justiciabilité des modalités plurielles de gestion administrative est la conséquence directe de la création et du renforcement des pouvoir d’un juge administratif autonome qui est seule habilité à juger l’administration dès lors qu’elle fait de la puissance publique le moyen de réaliser ses missions de service public. Cette nuance est importante, car il ne s’agit pas pour nous de soustraire le contentieux de l’administration de la compétence du juge de droit privé. 

Si l’administration se comporte comme une personne privée dans l’exercice de certaines de ses missions, le juge de droit privé, dans cette circonstance, peut se prévaloir, à juste titre, de la compétence de connaître un tel contentieux. On voit dès lors que l’administration, selon qu’elle agit d’une façon ou d’une autre, peut être tributaire de deux contentieux complètement différents : le contentieux administratif et le contentieux de l’administration.

D’autre part, la loi, dans sa déclinaison actuelle, n’est pas suffisamment claire sur le périmètre d’intervention du juge lorsqu’il est revêtu du rôle administratif. Le législateur a certes introduit l’exercice du référé en droit guinéen, mais il ne précise pas s’il est possible de l’exercer contre un contrat administratif passé en violation des règles de publicité et de mise en concurrence. 

Tout au plus, il a confié à la cour suprême la compétence de connaître en premier et dernier ressort le contentieux de « l’excès de pouvoir » sans cependant préciser si ce dernier est possible contre les actes détachables d’un contrat administratif et le cas échéant, les conséquences en cas de reconnaissance de l'illégalité de l’acte administratif litigieux. 

Il a enfin admis l’exercice du recours de plein contentieux devant le juge, sans jamais en préciser le contenu. Peut-être laisse-t-il à ce dernier l’opportunité d’aménager ses propres compétences. 

En tous les cas, le vide est donc là, flagrant et à première vue, insupportable. Il nous faut pourtant aller au-delà, construire une arche, sortir nos juges de leur mutisme complice et espérer, une bonne fois pour toute, qu’ils jouent leur rôle.

En ce sens, la justice doit redevenir indéniablement le socle de la vie de notre pays, le rempart contre l’arbitraire du pouvoir. Ce sacerdoce doit être incarné par le juge, plus particulièrement administratif. 

En matière contractuelle par exemple, l’office du juge administratif doit être réinventé ; de nouvelles voies de droit créées ; une catégorie de requérant, jusque-là écartée, méritent de faire leur entrée dans l’univers contentieux.

Cela suppose le réaménagement complet du prétoire du juge et l’extension de ses champs de compétence. Il doit pouvoir accueillir les recours d’urgence : le référé précontractuel ; le référé contractuel et le référé suspension. 

Le premier permettra de sanctionner un projet contractuel sur le point d’aboutir qui a été passé en violation des règles de publicité et de mise en concurrence. Le second est une rectification à postériori. Il s’agit pour le juge d’ôter de ses effets un contrat de la commande publique conclu en méconnaissance des principes fondamentaux qui garantissent sa validité. Et le dernier, pour sa part, permettra au juge de suspendre l’exécution d’un contrat présumé avoir été conclu de façon irrégulière en attendant le jugement au fond. 

Outre ces recours particuliers, le juge administratif contractuel, au-delà de son rôle classique du juge des parties, doit aussi connaître le contentieux des tiers contre la validité d’un contrat administratif, lequel peut être assorti d’un recours indemnitaire.  

Pour mettre sur pied une architecture administrative contentieuse aussi cohérente, aussi ambitieuse en vue d’apporter au contrat administratif un maximum de sécurité juridique, le législateur doit donner un pouvoir étendu au juge administratif et celui-ci doit saisir cette occasion pour se construire une stature indéboulonnable.  

Chacun doit jouer son rôle pour l’aboutissement de ce projet inaugural : le législateur, le juge administratif, les pouvoirs publics, les opérateurs économiques et les usagers du service public. 

Mais nous sommes conscients que ces propositions doivent être davantage affinées, les contours de chaque recours précisé et la bifurcation des voies de recours proposées clairement justifiées. C’est ainsi qu’il sera peut-être possible, en intégrant les réformes juridiques invoquées, de sauver la commande publique en Guinée et par là même, l’effort des contribuables.

 

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Alpha Saliou est diplômé en Droit Public des Affaires de Paris 12 et en Management des Affaires Publ...

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