À la une, Essais, Analyse • 15 octobre 2025 • SBM Sadio
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J’en appelle aux patriotes, aux personnes de bonne volonté en statut de décision, afin qu’ils refusent d’orienter la Guinée vers des institutions d’un ancien monde.
Le diagnostic établi lors de mes deux analyses précédentes a mis en lumière une architecture institutionnelle dans la continuité et, par nature, déséquilibrée. Ainsi, loin de marquer une rupture promise par la transition, la nouvelle Constitution reproduit les schémas verticaux et centralisés des régimes précédents. Et en dépit des promesses d'innovation qui ont accompagné sa conception et sa mise à l’appréciation populaire par un vote référendaire qui tenaient plus du théâtre que d’un véritable exercice de citoyenneté, tant ses contours et ses résultats étaient d’avance connus de tous. Cette nouvelle conception concentre un pouvoir immense entre les mains de l'Exécutif, créant la figure d'un "monarque républicain".
L'Exécutif dispose de très larges prérogatives, notamment le pouvoir de nomination aux hautes fonctions civiles et militaires (Article 65). Ce qui paraît limiter à dessein le rôle et le périmètre d’intervention des contrepoids institutionnels que sont l’Assemblée Nationale, le Sénat et la Cour Constitutionnelle. Le rôle du Sénat, par exemple, se réduit souvent à un simple avis consultatif sur les nominations, sans force contraignante suffisante (Article 112).
Puisque le référendum a eu lieu et que la Constitution est désormais validée, son architecture générale est intangible. La seule voie légale et politique pour corriger ces déséquilibres structurels réside dans la Loi Organique (LO). La Constitution est désormais la loi fondamentale de notre pays, au grand dam de beaucoup d’entre nous. Le débat ne doit donc plus porter sur son rejet, mais sur son aménagement. L'enjeu démocratique se déplace aujourd'hui vers un autre terrain, plus technique mais tout aussi crucial : celui des lois organiques. La Loi organique, qui doit encadrer l'application des principes constitutionnels (tels que l'équité territoriale ou l'organisation des pouvoirs publics), doit être élevée au statut de véritable bloc de constitutionnalité pour transformer les promesses en mécanismes juridiquement contraignants. Le défi est d'introduire, par ce biais législatif, les contrepoids et les garanties nécessaires à une stabilisation durable de la République tournée vers l’avenir. Personne, y compris ceux qui sont au pouvoir et qui estiment gagnant aujourd’hui n’ont intérêt à ce que notre République devienne un pays inégalitaire et autocrate.
Dans cette perspective, ce troisième et dernier article portant sur la nouvelle constitution qui nous a été proposée lors du référendum du 21 septembre 2025, se veut d’esquisser des propositions fortes pour rééquilibrer le pouvoir et demander des mesures d'équité et de justice territoriale, ainsi que d’équité et de transparence pour les postes de la haute fonction publique de l’Etat. Je me prête à cet exercice contraignant mais ô combien essentiel à mon sens non pas parce que je suis optimiste quant au sort que saura réserver nos législateurs et notre classe dirigeante à mes propositions, mais parce que j’accorde une importance cruciale au double ’impératif catégorique qui est le mien en tant jeune guinéen : jouer mon rôle d’intellectuel face à l’histoire, et montrer qu’il existe des voies justes et équilibrées dans lesquelles tout le monde peut être gagnant. Face à la rigidité proposée par nos législateurs dont la montagne de rupture promise a accouché d’une souris politico-légale, les contre-propositions dont je compte dessiner le contours ici vont dans le sens de la flexibilité, de l'exigence et de la probabilité pour les acteurs étatiques.
III.1 Les lois organiques comme correctif institutionnel pour un équilibre des pouvoirs et l'équité territoriale ?
2.1 Le Statut Juridique de la Loi Organique
La Loi Organique est un texte d'application constitutionnelle dont l'objet est de préciser l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics dans les domaines expressément énumérés par la Constitution. Dans la hiérarchie des normes, les Lois organiques sont supérieures aux lois ordinaires, mais inférieures à la Constitution elle-même.
Pour la Guinée, le caractère décisif de la Loi Organique tient à son régime de contrôle. Les Lois Organiques ne peuvent être promulguées qu'après une décision du Conseil Constitutionnel qui vérifie obligatoirement leur conformité à la Constitution.
Cette procédure de contrôle obligatoire est la garantie essentielle pour la Guinée. En détaillant des critères stricts d'équité, de pluralisme et des mécanismes de contrepoids contraignants dans la LO, le législateur force la Cour Constitutionnelle à valider sa conformité non seulement à la lettre du texte, mais surtout à l'esprit constitutionnel de justice, d'égalité et de cohésion nationale affirmé dans le Préambule. La LO devient alors un outil de stabilisation qui rend les règles du jeu institutionnel plus rigides et moins susceptibles d'être manipulées par les majorités politiques futures.
Des exemples pertinents de l’ancrage du Bloc de Constitutionnalité en Afrique Francophone qui peuvent inspirer la nécessité de rattrapage guinéen
L'utilisation de la Loi Organique comme un instrument de renforcement de l'indépendance et de l'équilibre est observée dans plusieurs systèmes juridiques, y compris en Afrique francophone.
L’absolu nécessité d’établir l'équilibre au Sénat : Il faut se pencher sur les critères de choix des membres nommés (1/3)
Le risque structurel de l’article 108
L'introduction d'un Sénat (Article 108), chambre des collectivités et des composantes socio-professionnelles, est louable. Cependant, le fait que le Président de la République choisisse directement le tiers (1/3) des Sénateurs est un défaut structurel majeur. Cette prérogative présidentielle affaiblit l'indépendance de la Chambre haute. Elle crée un puissant levier de contrôle sur une assemblée censée tempérer le pouvoir de l'Exécutif, ouvrant la porte à des usages clientélaires du sacerdoce sénatorial.
Proposition : La Loi Organique pour la sanctuarisation de l'expertise
La Loi Organique régissant l'organisation et le fonctionnement du Sénat doit définir de manière rigoureuse les critères d'éligibilité et le processus de sélection des Sénateurs nommés, afin d'assurer qu'ils apportent une expertise non partisane. Ils doivent être perçus comme des représentants du peuple sous peine d'illégitimité aux yeux des citoyens.
L'objectif est de transformer ces sièges, actuellement des instruments potentiels de récompense politique, en un espace d'intégration des contre-pouvoirs citoyens et experts.
La Loi Organique doit exiger à minima les conditions suivantes :
En cas d’affiliation partisane, alors ils doivent être choisis de manière équitable entre les forces politiques en tenant compte de la représentativité à l’Assemblée nationale.
Tableau 1 : quelques critères de composition des sénateurs nommés à envisager (Loi Organique)

2.2 Mécanisme de Vetting et de Transparence
Le Vetting consiste en un examen minutieux ou une vérification rigoureuse d’un processus d'enquête et d'évaluation approfondie souvent mené avant une nomination à un poste de haute responsabilité. Les Etats-Unis et les pays Nordique sont des exemples parfaits pour cela. J’avais évoqué certains exemples dans mon deuxième article. Ce mécanisme permet d’examiner la probité, l’intégrité et l’expertise afin de garantir l’absence de conflit d'intérêt et l'éthique pour les nominations à des postes sensibles de la haute administration, notamment militaires.
La Loi Organique doit prévoir des mécanismes de contrôle de probité stricts, inspirés du modèle américain.
III.3 Le Défi de la Dépendance Judiciaire. Comment éviter le piège du “tout exécutif” ?
L'indépendance de la justice est le pilier de l'État de droit. En Guinée, le mode de nomination des hauts magistrats est un handicap majeur à ne pas négliger. L'absence d'audition et d'enquête indépendante du Parlement sur ces nominations crée un lien de dépendance personnelle des juges envers l'Exécutif. Le projet constitutionnel mentionne la Cour Suprême comme la plus haute juridiction administrative (Article 154) , mais l'absence d'un ordre juridictionnel administratif fort et de magistrats véritablement indépendants fragilise le citoyen face à l'arbitraire de l'administration.
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est l'organe clé censé garantir cette indépendance. Sa composition doit être révisée par la Loi Organique pour éviter toute instrumentalisation politique ou tout corporatisme.
Proposition 1 : dépolitisation et Autonomie du CSM
Je suis conscient que ce dispositif sera complexe pour l'exécutif qui veut tout contrôler. Pourtant, si rien n’est fait à cet égard, on aura raté deux occasions historiques de faire avancer le l’indépendance judiciaire en Guinée. La Loi Organique doit faire en sorte de retirer “immédiatement” les autorités politiques de l'organe de gestion de la carrière des magistrats.
Proposition 2 : Composition pluraliste et représentative
La Loi Organique doit réformer la composition du CSM pour garantir le pluralisme et éviter le corporatisme et mise de l'exécutif sur son fonctionnement opérationnel.
Tableau 2 : Proposition de Composition du Conseil Supérieur de la Magistrature (Loi Organique)

Proposition 3 : Le Rôle Contraignant du CSM
La LOI doit conférer au CSM un rôle de contre-pouvoir décisif pour les nominations les plus hautes.
III.4 Redéfinir l'état unitaire avec un transfert maximal des compétences et péréquation contraignante
Le projet constitutionnel guinéen qui a été soumis au référendum réaffirme l'attachement à la déconcentration et à la décentralisation (Articles 181, 183). Dans le premier article de cette série, j’ai cependant critiqué avec des exemples concrets que le législateur guinéen a « manqué de courage » en ne poussant pas à une réelle autonomie des collectivités locales. Le maintien d'un État unitaire hypercentralisé ignore l'histoire sociopolitique de certaines composantes nationales, qui pratiquaient des modèles d'organisation du pouvoir décentralisé fondé sur la coopération.
Le manque de partage effectif du pouvoir et des richesses est un facteur historique d'instabilité. La Loi Organique doit concrétiser ces principes pour renforcer l'unité nationale par la reconnaissance institutionnalisée de la diversité.
Proposition 1 : Pour un transfert maximal des compétences vers les collectivités locales
La Loi Organique relative aux collectivités territoriales doit institutionnaliser le principe de subsidiarité maximale.
Modèle du fédéralisme coopératif : S'inspirant du modèle allemand, la LO doit établir que l'État central conserve les compétences de législation (Défense, Diplomatie, Monnaie, Grande Législation), mais que l'exécution et la mise en œuvre de la majorité des lois dans des domaines vitaux (éducation de base, santé publique locale, infrastructures locales) sont déléguées aux collectivités. Cela confère un pouvoir réel et une légitimité accrue aux administrations régionales et brise la mainmise de la capitale sur la vie locale.
Tableau 3 : Compétences Maximales à Transférer aux Collectivités (Loi Organique)

Proposition 2 : Le Mécanisme de péréquation financière contraignante
La question de la péréquation financière (Article 184) est si sensible qu'elle ne peut être laissée à la discrétion des majorités politiques. La Loi Organique doit transformer le principe général en une obligation juridiquement mesurable et stable.
III.5 Équité dans la Haute Fonction Publique : le mécanisme de l'avis Conforme ou le problème de la Discrétion Présidentielle
L'Exécutif détient le pouvoir de nomination à tous les hauts emplois civils et militaires (Article 65, 74) avec un simple avis consultatif du Sénat (Article 112). Cette absence de contrepoids effectif facilite le patronage politique et l'accaparement des postes stratégiques (régaliens, militaires, financiers) par un seul groupe, allant à l'encontre des principes d'équité, d'inclusion et de cohésion nationale.
Pour garantir l'équité dans l'accès à la haute fonction publique et la neutralité des institutions clés, la Loi Organique doit renforcer le contrôle parlementaire.
Proposition 1 : L’introduction de l’« Avis Conforme » pour les Fonctions Régaliennes
La Loi Organique doit transformer l'avis consultatif du Sénat en Avis Conforme (veto parlementaire) pour les nominations aux fonctions nécessitant une neutralité politique absolue et une redevabilité nationale.
Les fonctions ciblées sont notamment :
Mécanisme à instaurer : La Loi Organique doit exiger que l'avis conforme soit obtenu par un vote à la majorité qualifiée du Sénat (ex : les deux tiers des suffrages exprimés), après une audition publique et contradictoire devant la commission compétente. Le rejet d'une nomination par le Sénat obligerait le Président à proposer un nouveau candidat, rétablissant un véritable équilibre des pouvoirs.
Proposition 2 : Critères d'Équité et de Mérite Institutionnalisés
La Loi Organique doit garantir que les nominations reposent sur le mérite, la probité et l'équité régionale.
Équité Régionale et Communautaire : Pour éviter que les nominations ne soient perçues comme l'apanage d'une seule région ou communauté, la Loi Organique doit définir des mécanismes de rotation ou des quotas pour garantir la représentation équitable des grandes composantes régionales et socioculturelles de la Guinée dans les postes régaliens et les corps diplomatiques. Cette approche, s'inspirant des principes de la démocratie de concordance, est la seule façon d'institutionnaliser la diversité et d'assurer que l'inclusion ne soit pas un vœu pieux.
Tableau 4 : Mécanisme de Vetting et de Contrôle pour les Hautes Fonctions (Loi Organique)

Une alerte et un appel à la responsabilité face à l’histoire
Je termine cette trilogie par une alerte et une demande à la responsabilité, car la guinée n’appartient ni à un groupe d’élite, ni un groupe communautaire mais à tous les Guinéens. Ceci est donc surtout une alerte envers ceux qui se gargarisent de patriotisme hypocrite ou de salon ; à l’encontre de ceux qui estiment qu’ils connaissent tout et que tout leur appartient. J’estime qu’avec la juste répartition des richesses et du pouvoir chacun pourra trouver sa place et contribuer à développer le pays.
Les analyses des deux articles précédents ont montré que la nouvelle Constitution guinéenne, tout en affirmant des principes démocratiques, contient des faiblesses structurelles majeures qui risquent de reconduire un modèle de pouvoir hyper-présidentiel et centralisé. La concentration de pouvoir entre les mains de l'Exécutif, sans contrepoids suffisant, menace la stabilité nationale.
Les Lois Organiques qui suivront la promulgation de la Constitution représentent ainsi la dernière chance de rattrapage institutionnel, d’où l’objectif de mon article. Elles doivent être rédigées comme un second acte fondateur, transformant les principes généraux en obligations juridiquement contraignantes et auditables de manière concrète.
Alerte Cruciale : Si le législateur ne prend pas en compte les dispositifs précis et contraignants suivants dans les Lois Organiques, l'équilibre des pouvoirs, la transparence et l'équité ne seront pas assurés :
Le renoncement à l'exigence du « difficile » en faveur d'un mimétisme institutionnel facile trahirait la responsabilité historique des élites guinéennes. Si de tels dispositifs ne sont pas pris en compte, la nouvelle Constitution ne servira qu'à légaliser la structure d'une monarchie absolue républicaine, garantissant de futures crises de légitimité et d'instabilité politique. J’en appelle aux patriotes, aux personnes de bonne volonté en statut de décision, afin qu’ils refusent d’orienter la Guinée vers des institutions d’un ancien monde.
Pourquoi cet appel ? D’abord parce que la Guinée mérite mieux. Ensuite, et surtout, parce qu’il est illusoire d’envisager des institutions rigides face à une population guinéenne dont 70% à moins de 35 ans. Une population composée d’une jeunesse de plus en plus éduquée et ouverte sur le monde. Une jeunesse qui, à terme, refusera de se plier à des institutions peu légitimes, démesurément contraignantes et manifestement archaïques. Des jeunes qui, comme récemment au Sri Lanka et actuellement au Maroc, n’auront plus peur de se lever, de se faire entendre, de se battre pour demander une meilleure situation économique, des droits et des libertés comme tous ceux qu’ils croisent ailleurs ou qu’ils observent depuis leurs tablettes et leurs téléphones. C’est pour toutes ces raisons que, quel que soit le président qui sera élu à l’issue de l’élection présidentielle annoncée pour décembre 2025, il ou elle devra soit prendre en compte ces réalités, soit courir le risque d’être envoyé dans la poubelle de l’histoire. Car aucun autocrate, aucune dictature ne peut indéfiniment résister à la dynamique d’une société, laquelle finit toujours par avoir le dernier mot.
SBM est titulaire d’un double Master en Politiques et en Management de l’action publique. Actuelleme...
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