À la une, Essais, Politique • 10 mars 2025 • Ali Camara
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La scène politique guinéenne, plus que jamais marquée par des luttes de pouvoir et des trahisons à chaque détour de regard, s'apparente désormais à un théâtre d'ombres où les vérités sont étouffées. Dans cette arène de paroles qui se disent et se contredisent, les promesses d'alternance se perdent dans le bruit des discours bidons.
Ousmane Gaoul Diallo, avec son parcours tortueux entre la rébellion politique et le soutien au gouvernement de transition, incarne cette hypocrisie déconcertante qui ronge l'opposition guinéenne. Tiraillé entre loyautés contradictoires, ce personnage emblématique s’érige en porte-parole d’un régime tout en participant à des manœuvres qui desservent les idéaux démocratiques. Face à cette réalité chaotique pourtant promise pour être une vision politique du devenir radieux de la Guinée, on peut se demander : comment un homme, autrefois symbole de « courage politique », devient-il le représentant d’une imposture aussi manifeste ? Et surtout, quels principes démocratiques sont en péril lorsque l’intérêt personnel politico-financier prime sur le bien commun ?
« Dans notre pays, on a aboli le mariage forcé […]. Ce jugement n’a aucun intérêt, ni juridique ni dans les faits. Il n'y aura aucune conséquence. L’UFDG va continuer sa marche vers la conquête du pouvoir… » C’est ainsi qu’Ousmane Gaoual Diallo s’exprimait au micro de la presse, tout juste après la réintégration par le tribunal de première instance de Dixinn de Bah Oury au sein de l’UFDG. Nous sommes en 2016.
À cette époque, le maintenant bienheureux porte-parole du gouvernement se faisait appeler « Görkö soussaï », comprenez “l’homme qui ose” ou “l’homme qui n’a pas peur”. Dans cette séquence de 2016, éminemment illustrative de son cheminement dans les méandres de l’opposition politique en Guinée, Ousmane Gaoual affirmait avec un mélange de désinvolture et de défiance assassine que la décision du Tribunal de Dixinn était nulle et inopposable à l’UFDG. Pour celui qui à l’époque passait pour l’incarnation par excellence de l’audace insolente d’une certaine frange de l’opposition politique d’alors, seuls les militants de l’UFDG étaient en mesure de décider pour leur parti. Il était le « Gorkö soussaï » quand le parti devait aller au front politique, et Dieu sait qu’il y est allé de toutes les manières. Pour paraphraser le Colosse, il faisait « le sale boulot ». Ce qui, de fait, lui a valu d’être applaudi par tous ses camarades, chouchouté par les médias et promis à de grands destins dans le parti.
La chute controversée de Bah Oury et les contradictions gênantes de Gaoual
Bah Oury est passé par là. Dans sa « chute » à l’UFDG, ils étaient tous bras dessus, bras dessous, y compris Ousmane Gaoual Diallo - au festin pour « cuire sa peau ». Ils étaient là, même quand la Cour d'Appel de Conakry a confirmé le jugement rendu en Première Instance par le TPI de Dixinn, qui avait estimé que l’exclusion de M. Bah au sein de l’UFDG était illégale, parce que non conforme aux statuts et au règlement intérieur du parti !
Aucune condition n’avait pourtant été réunie pour rétablir Bah Oury dans ses droits. Au droit, on a opposé la virulence, la violence, l’animosité, si bien que le pauvre s’est résolu à ce divorce douloureux. Mais Ousmane Gaoual Diallo réalise-t-il enfin qu’« il ne faut pas croire que ça n’arrive qu’aux autres » ? Ou que le respect des règles n’a d’intérêt que dans la protection de tous ? Peut-il alors prétendre avoir raison s’il continue à nier sa faute dans l’exclusion de Bah Oury de l’UFDG et dans le fait d’avoir participé à botter en touche une décision de justice qui était pourtant claire ?
Hélas aujourd'hui, Ousmane Gaoual Diallo oublie vite son histoire. Il vient de se réveiller et a compris qu'il faut respecter les décisions de justice, même si parfois elles ne servent pas nos intérêts. Dans l’affaire UFDG-Bah Oury, il a fallu la mort du journaliste Mohamed Koula Diallo et le retrait personnel de Bah Oury pour apaiser les ardeurs des militants extrêmes et des cadres zélés de l’UFDG, comme Ousmane Gaoual.
Le cas Mohamed Koula : le verdict et la quête de justice
Dans le verdict du procès, cette fois de l’assassinat du journaliste, les accusés en fuite ont été condamnés à de lourdes peines, tandis que les deux accusés présents ont été relaxés. Souleymane Tchiân’guël Bah, l'ex-responsable de la communication de l'UFDG et l’actuel Secrétaire général du ministère de l’Information et de la Communication, est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. On « retient Alphadio et Amadou Saïdou Barry dans les liens de la culpabilité, on les déclare coupables de coups et blessures volontaires, les condamne par défaut à deux ans de prison et à un million de francs d’amende chacun, décerne un mandat d’arrêt contre eux ; déclare que les faits ne sont pas imputables à Amadou Sow et à Alghassimou Keita, les renvoie à des fins de poursuites, ordonne leur acquittement pur et simple. »
Cette décision a été critiquée par l’UFDG. Des cadres du parti ont été condamnés par les constitutions de partie civile d’un Bah Oury soupçonné d’opérer un rapprochement souterrain avec la mouvance présidentielle depuis la fin de son exil hexagonal. En première ligne de cette campagne de suspicion, Ousmane Gaoual Diallo brandissait ces condamnations comme l’une des raisons du « retour impossible de Bah Oury dans le parti ».
Neuf ans après, il semble plus enclin à admettre une décision de justice et son discours a radicalement changé : il salue le tribunal pour les mêmes décisions, mais cette fois en sa faveur. Une décision qui, selon sa sagesse retrouvée, vient rappeler une vérité toute simple qu’il n’était pas disposé à entendre hier. Que « nul ne peut prétendre défendre la démocratie tout en méprisant ses propres règles internes », et que « ce n'est pas en verrouillant son parti ou en étouffant la moindre voix critique qu'on construit une alternative crédible ».
Le retournement spectaculaire
Si l’on peut être tenté de voir une quelconque lucidité politique dans la nouvelle posture d’Ousmane Gaoual envers la justice de son pays, c’est sans compter que notre Gorkö soussaï a fini par dissoudre ses idées de conquête de pouvoir au profit « de la stabilité et du dialogue responsable », dont nous connaissons désormais les contours. Il l’a dit publiquement à maintes reprises. C’est le soutien décomplexé à la candidature du Général Mamadi Doumbouya à la prochaine présidentielle : « On ne va plus reculer. Le Général Doumbouya ne peut plus ne pas être candidat, car nous payons sa caution. Nous l’avons choisi, et nous allons le soutenir jusqu’à là où il voudra, pour que le destin de la Guinée ne soit pas entre des mains malhonnêtes qui continueront à nous diviser et à exacerber des tensions que nous avons oubliées depuis belle lurette ».
Et chemin faisant, dans ce que le pouvoir a de plus grotesque et tragique, il s'engage désormais dans une campagne avec le même Bah Oury qu’il avait fini par clouer au pilori, se vautrant dans un long chemin de reniement et de cafouillage. Celui-là même qui était jusqu’à la veille de sa nomination en tant que Premier ministre allergique à toute évocation d’une quelconque candidature du Président de la transition Mamadi Doumbouya - au point qu’il alla pointer du doigt les médias guinéens d’être de ceux qui en font la semence.
C'est le même Bah Oury qui, en 2009, était la tête pensante des manifestations des « forces vives » contre une probable candidature du Capitaine Moussa Dadis Camara à la présidentielle. Ce vétéran politique dont beaucoup vantaient hier l’intégrité et le sens du devoir républicain est devenu méconnaissable. Comme beaucoup d’autres avant lui, y compris ceux qu’il a longtemps accusés d’être la cause de la tragédie guinéenne par leur manque de courage et de caractère aux moments décisifs de notre récente histoire, fait désormais preuve de la même couardise.
La marginalisation politique subie dans l’UFDG étant « dépassée », fort de sa position politique désormais « privilégiée », Bah Oury, ou l’ex “Nelson Mandela” de Pita, ne réussit pas à conserver les principes qui ont fait sa notoriété passée. Cette incroyable mue doublée d’un sidérant manque de caractère saute désormais aux yeux chaque fois qu’il prend la parole. Comme dans cette toute récente déclaration : « En fonction de ce qui sera adopté par la constitution, il [le chef de l'Etat] s'exprimera le moment venu. S'il [général Mamadi Doumbouya] est candidat, vous n'allez pas ignorer que le Premier ministre, chef de gouvernement sera en phase avec le président de la république. Donc il faut que vous le sachiez, c'est clair et net. »
Ça y est donc. La messe est dite et elle est grossièrement imparable ! Dans une tournure de langue qui feint d’entretenir une nuance qui n’existe plus, Bah Oury vient de réussir ce qu’il n’a pas osé par son désistement au débat RFI pour lequel Aliou Bah, leader du Model, incarcéré depuis pour ses vérités qui fâchent - il s’était promis de le mettre devant ses propres contradictions. Bah Oury se fourvoie de la manière la plus tristement spectaculaire, et avec lui tous ceux dont l’engagement en faveur d’un renouveau démocratique n’a été que vent.
Mais, ce n’est pas sans compter les actes qui parlent le mieux : des membres du gouvernement de transition et hauts responsables de la présidence tiennent des meetings un peu partout en Guinée, dans le but, disent-ils, d’inviter le Général Mamadi Doumbouya à se porter candidat à la prochaine présidentielle, sans doute en le rassurant que la majorité des Guinéens soutiendraient ce projet. Cette aventure ambiguë reste un véritable affront à la dignité du peuple guinéen, une farce indécente orchestrée par ceux qui préfèrent les manigances et les compromissions à la vérité et à la justice. L'hypocrisie de ce duo est la quintessence même d'un système politique à l'agonie, où les ambitions personnelles l'emportent sur l'intérêt général. Comment peuvent-ils prétendre servir la nation tout en jouant les pantins dans cette pièce de théâtre tragique ?
Le besoin d’une autocritique politique profonde
« Ne sacrifiez jamais vos convictions politiques pour être dans l'air du temps. » C’est l’une des plus belles phrases attribuées à John Fitzgerald Kennedy. Mais, comment peut-on expliquer que ceux qui ont jadis combattu le troisième mandat anticonstitutionnel d’Alpha Condé se soient transformés subitement en porte-étendards d’un ordre politique caractérisé par le statu quo, alors même qu’une transition politique avait été promise comme le fondement de notre renouveau démocratique ? En vérité, Ousmane Gaoual Diallo, à l’instar de bien d’autres, devrait nous présenter des excuses. Ils sont, tous, lui et les autres vendeurs d’illusions de refondation, coupables de nous avoir gavés de mauvais fruits, de nous avoir miroité un engagement démocratique sincère dont la réalité s’est dissoute, comme hier, dans un réalisme politique où, finalement, les engagements solennels n’engagent que ceux qui y croient. Comme quoi en politique, et trop souvent en Guinée, les exceptions ne valent que pour les circonstances que l’on choisit et pour les intérêts que l’on défend.
Comme hier donc, malgré notre opposition contre ce qu’est devenu l’engagement originel du RPG-arc-en-ciel au pouvoir, devant la volonté implacable d’Alpha Condé de renier son serment et d’opérer la fraude à la Constitution, une certaine façon de faire de la politique, ou dans ce cas précis, d’animer l’opposition politique, m’a toujours semblé suspecte. Mandian Sidibé, dans son journalisme à deux balles, et Ousmane Gaoual Diallo dans ses démarches de va-t-en-guerre ont longtemps été pour moi de mauvais exemples dans un débat politique républicain et responsable.
Gaoual Diallo et le CNRD
Ceux qui ont encore une mémoire et un certain sens de la responsabilité historique se souviennent que le véritable divorce entre Ousmane Gaoual Diallo et Cellou Dalein Diallo a commencé bien longtemps avant l’avènement du CNRD. La crise de confiance qui s’est installée entre les deux hommes et atteint son paroxysme après la sortie de prison d‘Ousmane Gaoual et compagnie. Gaoual, Abdoulaye Chérif Bah, tous membres de l’UFDG ont été arrêtés en novembre 2020. Leur incarcération à la maison d’arrêt de Conakry a duré environ huit mois. Les accusations portées contre eux incluent la fabrication, l’acquisition, le stockage et l’utilisation d’armes légères et de munitions, en plus de menaces et d’association de malfaiteurs.
Pour Joachim Baba Millimono, actuel coordinateur de la Cellule de communication de l’UFDG, Gaoual s'était déjà éloigné du parti avant sa cooptation par le CNRD. Juste quelques semaines après la chute du régime d’Alpha Condé, Baba Millimono disait ceci à la presse : « Vous savez, depuis sa sortie de prison, le 17 juillet de 2021, il n’a plus repris fonction au sein de la cellule de communication […] Il n’a pris part à aucune activité du parti, ni en Guinée ni en France où nous le croyions en séjour médical jusqu’à ce que nous ayons des informations faisant état de sa présence dans la cité des nations de Kaloum ».
Ce que M. Millimono n’avait pas dit, c’est que, comme Bah Oury dans sa déchéance au sein du parti, Gaoual était, depuis sa libération conditionnelle, accusé à tort ou à raison de faire des yeux doux au pouvoir finissant d’Alpha Condé. Même si, dans cette langue de bois pour laquelle sont habiles les communicants politiques, M. Millimono assurait que le « rapprochement d’Ousmane Gaoual Diallo avec le CNRD ne constituait pas une entorse aux principes du fonctionnement du parti ». En réalité, l’affaire remonterait depuis la tribune collective qu’il signe avec ses codétenus, Cellou Baldé et Abdoulaye Chérif Bah. Un appel au dialogue et à l’apaisement qui, s’il est salué par Tibou Kamara, alors porte-parole du gouvernement Kassory Fofana, ne semblait pas opportun pour la direction politique de l’UFDG.
Au sein du parti, la tribune a été perçue comme un aveu d’échec pour l’opposition qui espérait influencer les autorités guinéennes. Et la réaction de la Direction Nationale de l’UFDG ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué diffusé le 02 juin 2020, elle n’a pas manqué de rappeler aux demandeurs que cette décision revenait exclusivement à la Direction Nationale de leur formation politique : « En tout état de cause, la position de l'UFDG par rapport au dialogue politique relève exclusivement de la Direction Nationale du parti et de ses instances compétentes... »
On pourrait analyser que, en désavouant ses cadres incarcérés alors depuis de longs mois, l’UFDG a potentiellement mis à mal sa relation avec Ousmane Gaoual Diallo. Ce dernier reviendra plusieurs fois sur l’épisode de leur détention et sur les conditions de celle-ci, comme s’il cherchait à souligner que sa légitimité politique au sein de l’UFDG ne saurait être remise en question, même par Cellou Dalein Diallo, compte tenu des sacrifices qu’il a consentis. Cette situation pourrait ainsi générer de la colère et de l’incompréhension de sa part, illustrant les tensions internes au sein du parti. Contrairement à certains analystes qui voient dans ce basculement de la position de Gaoual un quelconque choix stratégique, le concours des événements précédents tend à conclure, sinon à une divergence, du moins à un opportunisme politique.
Si hier, il était accusé d’un certain rapprochement avec le pouvoir déchu, ses fréquentations avec le CNRD tout juste après le renversement de pouvoir ainsi que sa nomination dans le gouvernement de transition présageaient une nouvelle étape qui allait profondément bouleverser l’échiquier politique de son parti.
Entre les réalités d’hier et celles d’aujourd’hui, la différence est nette : avec son poste de ministre de la République et porte-parole du gouvernement, Görkö Soussaï est dans une situation confortable qui lui permet de hausser le ton et de tenir tête. Quoiqu'il puisse nous laisser penser, il est clair que s’il n’a pas le soutien du CNRD dans cette bataille rompue contre Cellou Dalein Diallo et ses lieutenants, il aurait en toute logique son acquiescement, ou tout au moins son silence complice. Autrement, comment expliquer qu’il continue de porter la parole d’un gouvernement de transition qu’il « obscurcit » et conflictualise en même temps à cause de ses querelles avec sa base politique, à laquelle se reconnaissent des millions de ses compatriotes ?
Entre porte-parole du gouvernement et prétendant à la présidence de l’UFDG
Mais, connaissant l’humeur politique de l’homme, très souvent belliqueuse en temps d’hostilité, il serait légitime de suggérer que la raison sous-jacente à cette « offensive » pourrait résider dans sa prise de conscience du fait qu’il n’avait, d’une certaine manière, pas le poids politique espéré dans le parti. À la lumière de la « jurisprudence » entourant l'exclusion de Bah Oury de l’UFDG, il est probable qu’Ousmane Gaoual Diallo soit conscient que ses chances de réintégration au sein du parti sont particulièrement limitées. En outre, il semble difficile de croire qu'il puisse envisager de devenir un « challenger sérieux » pour remplacer Cellou Dalein Diallo à la tête de cette formation : tous ceux qui l’ont essayé avant lui ont été éjectés du parti. Par conséquent, on peut supposer que, n'ayant plus rien à perdre, il pourrait choisir de régler ses comptes de manière personnelle, advienne que pourra. Cette attitude peut témoigner d'une volonté de s'affirmer malgré les obstacles qu'il rencontre.
Or cette démarche du porte-parole du gouvernement de transition – et la précision a tout son pesant d’or – ne serait pas moins biaisée pour autant, en tout cas si l’on souhaite une transition politique qui se veut réconciliante et tournée vers un dialogue politique serein. De deux choses l’une : soit Ousmane Gaoual est porte-parole du gouvernement de transition, soit il est candidat à la présidence de l’UFDG. Même s’il est possible d’expliquer tout le droit dont il peut se prévaloir pour ces deux casquettes, il est dangereux de ne pas se rendre à une seule et même évidence : le contexte ne s’y prête pas.
Mais à leurs dépens, l’UFDG en premier lieu, ainsi que toute formation ou volonté politique exprimée dans ce pays qui est le nôtre, apprendront au moins que l’extrémisme politique n’est ni un gage de fidélité, encore moins de sérieux. Il témoigne simplement d’un manque d’arguments politiques et du choix de recourir à la violence gratuite.
Nécessité de la démocratie interne dans les partis politiques
L’émulation démocratique doit exister. La démocratie doit d’abord s’opérer et vivre dans les partis politiques. Parce qu’au fond, ce n’est pas au sommet de l’État qu’on improvise ce qui aurait dû être une « culture » enseignée et vécue, même dans l’adversité politique la plus irrésistible. C’est là justement que se distinguent les hommes d’État des politiciens professionnels.
C’est ainsi que les « voisins », c’est-à-dire ceux du RPG, sont restés comme les derniers retranchés de la Seconde Guerre mondiale qui ne se rendirent compte que très tardivement que la guerre était bien finie. Auparavant, les rares qui ont cru à la possibilité d’un renouveau à la tête du parti ont été vus en « traîtres » et traités comme tels.
Le RPG, pourtant porteur de tant d’espoirs dans ses débuts, n’a été que l’ombre de lui-même, victime d’une centralisation extrême autour d’une figure unique. Cette faillite institutionnelle met en lumière un problème récurrent au sein du paysage politique guinéen : l’absence de démocratie interne, l’instrumentalisation des partis par les élites et l’incapacité à bâtir des institutions qui survivent à la volonté des hommes. Il en est ainsi dans la quasi-totalité de nos partis politiques, où il a fallu, pour beaucoup, attendre les conclusions du rapport d’évaluation du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation pour les amener à tenir leurs congrès électifs.
Toutefois, cette critique dépasse le seul RPG ou de l’UFDG. Elle soulève une question fondamentale sur l’avenir même de notre démocratie : comment espérer un système démocratique viable quand ses piliers - les partis politiques en premiers - sont des coquilles vides, réduites à des instruments personnels ou à de simples machines électorales ?
L’impératif moral de la transmission du pouvoir
On peut lire souvent des commentaires sur la démocratie et des critiques régulières sur le principe de l'alternance au pouvoir. Ce qui est frappant, c'est que ceux qui font ce genre de critiques et qui semblent en avoir des « opinions tranchées » se refusent, à mon avis, à expliquer suffisamment les principes avec lesquels ils seraient en désaccord. Plutôt que d’emprunter les sentiers de la profondeur, laxistes le plus souvent, ils titubent sur les chemins du simplisme. Je veux dire que les principes démocratiques ne sont pas nés ex-nihilo. Ils ne sont pas tombés du ciel. Chaque principe part de constatations à travers des milliers d'années de la vie des hommes en société, des systèmes de gouvernance qui se sont succédé à travers le temps. Mais, si l'on n'est pas d'accord sur ces principes, le dire ou le proclamer ne suffit pas. Il faut prouver, démontrer que des alternatives existent et qu'elles « fonctionnent ». Ce n'est pas parce que nos États ont « échoué » leur « démocratisation » que la démocratie serait contre nous.
Dire que l'alternance politique n'est pas nécessaire revient à ignorer ce qu’elle implique au-delà du changement de tête du pouvoir exécutif de l’État ou dans les formations politiques. Elle implique qu’il ne faudrait pas faire dépendre la survie d'une nation ou d’une institution des volontés, ou de la vie même d'une seule personne. Ne pas prendre le risque de mettre tout à la merci d'une seule personne par la simple volonté de celle-ci. On dit que la nature humaine a ses défauts, et que le pouvoir « illimité » et « indéfini » peut davantage corrompre. Même dans les monarchies constitutionnelles modernes qui résistent « encore » au temps, force est de constater qu'il y a eu des « aménagements » qui tendent à limiter le pouvoir du monarque élu ou dynastique comme Chef d'État (pouvoir symbolique), tout en assurant une alternance politique en donnant les pouvoirs réels à un Premier ministre, seul responsable devant le Parlement. Le refus d'alternance dans un système qui le prévoit met ainsi en branle systématiquement ou presque l'équilibre des pouvoirs. Et dès lors que la séparation des pouvoirs et l'équilibre recherché sont affectés, c'est tout le système qui l'est par le « piétinement » ou la caporalisation des institutions républicaines.
L’illusion de l’homme providentiel et le faux militantisme politique
Sous nos tropiques, une fois au pouvoir, les démocrates et les refondateurs autoproclamés ne veulent pas laisser le processus de la démocratie faire son chemin. Devenus hommes providentiels, les seuls apparemment capables de sauver une patrie dont ils ne semblent se soucier que pour maintenir leurs privilèges et se gaver, ils deviennent des pourfendeurs très imaginatifs de cette démocratie dont ils ont jadis chanté les vertus. Le fait est qu'au fond, notre système démocratique ne procède pas de ce que la démocratie désigne : le pouvoir des peuples. Nous adoptons des lois dont l’imaginaire se trouve ailleurs, des lois qui, la plupart du temps, n'ont rien à voir avec notre société. Nous organisons des élections dont les résultats donnent victorieux ceux que les peuples n'ont pas vraiment élus. Ces hommes et femmes ne représentent personne ! Ils ne sont que les défenseurs des intérêts qui échappent aux peuples dont ils disent tirer le mandat de représentation. Ce sont des soldats, des pions d'un échiquier plus grand. Ce n'est pas de la démocratie, mais une farce, la « démocratie bananière » que chante Alpha Blondy. Comme le disait brillamment Aliou Bah, « Aussi longtemps qu'on manipule les élections, nous aurons des dirigeants qui ne se sentiront pas redevables vis-à-vis des populations, mais des lobbys et des réseaux qui les ont portés au pouvoir ». Ce n’est donc pas la démocratie qui est en cause, mais notre façon de la pervertir.
Aucun homme, quel qu'il soit, ne devrait « s'éterniser » au pouvoir ou s’attendre à être l’alpha et l’oméga de la construction nationale. Si l'on est incapable de préparer des générations à suivre notre chemin et à leur passer le flambeau, c'est qu'on n'aura rien bâti. Ce qui marque les esprits et qui transcende des siècles, voire des milliers d'années, on l'appelle "héritage". Le plus grand héritage d'un homme d'État, ce n'est pas de se rendre indispensable. Sa grandeur est de permettre au contraire qu'il ne soit pas le seul et le dernier à porter sa vision. C'est-à-dire préparer la relève et, encore une fois, passer le flambeau !
Même si, par précaution, il convient d’ajouter que si l’alternance politique est une condition nécessaire à la démocratie que nous voulons, il demeure qu’elle n’en est pas une condition suffisante. D'autres éléments devraient aussi nécessairement être pris en compte, parmi lesquels on pourrait citer le principe de la laïcité et la proclamation des droits et libertés des citoyens.
Contradictions des élites intellectuelles et déficit démocratique
Malheureusement, et jusque-là, même après la refondation promise de l’État guinéen et de sa marche politique, le débat politique reste centralisé sur le crâne du chef, aux personnes et leurs sensibilités. Quand on n’est pas d’accord avec une personne, on serait forcément contre celle-ci. On voudrait ainsi faire de l’adhésion politique la moutonnerie bien pensante des élites des partis, ou le zèle des propagandistes « grilleurs d’arachides ». Mais, comment réconcilier le militantisme politique avec la lucidité citoyenne quand ce sont des « intellectuels » qui sont les premiers à pousser le culte de la personnalité à « l’idolâtrie politique » ? Que faut-il pour amorcer véritablement le processus de persuasion du peuple sur ce qu’André Breton avait à raison intitulé « Mettre au ban les partis politiques » ? Simone Weil qui l’inspira pour ce travail était allée plus loin en écrivant Note sur la suppression générale des partis politiques. Au moment où la transition politique du CNRD ressemble de moins en moins à l’épouse promise, la question cruciale, froide mais sincère est de savoir qui donne des leçons et au nom de la réalité de quelle valeur et quel futur ?
Là où les médias sont sous contrôle ou censurés, les élections prises en otage, et où la répression et la disparition des opposants politiques deviennent le passe-temps favori des maîtres du moment, on ne peut espérer obtenir - et au mieux - qu’une démocratie factice dans laquelle le mensonge, les demi-vérités et l’arbitraire de la force priment sur la liberté des citoyens et l’expression souveraine du peuple.
Quand le débat démocratique est biaisé au sein des partis politiques, c’est le tremplin pour de futurs autocrates au sommet de l’État. Quand les partis politiques sont à caractère ethnique, ils deviennent le terreau du tribalisme d’État et de la gestion clanique des affaires publiques. Quand les principes proclamés sont défendus au gré du vent, on récolte une démocratie aérienne. Devant un tel tableau effroyable, espérer de cette société est un audacieux acte de foi.
Rien de nouveau, me dira-t-on. Pourtant, le peuple de Guinée, dans sa jeunesse nombreuse, reste encore comme un spectateur de son destin. Mais aujourd’hui, c'est le temps du rappel pour lequel il n'est pas permis de faire preuve de demi-mesure, mais de rigueur et de sincérité. Car, comme le soulignait Albert Camus, « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. » Demain, ce sera assurément le temps de la rétribution, l’heure du bilan et de l’histoire.
Nourrir l’espoir par l’engagement politique sincère
Certains y verront peut-être une grande naïveté, mais je voudrais encore croire à la lucidité politique du président de la transition qui ne doit pas se prêter à ces sirènes de compromissions. L’arbitre qu’il a promis doit s’éveiller en lui, avec vigueur, pour rappeler une chose : il doit être un chemin et non une destination. C’est-à-dire qu’il a la lourde tâche de redonner confiance aux Guinéens en leurs institutions et, par-dessus tout, d’inspirer tous ces jeunes qui, au-delà des tiraillements politiques, ont vu, le 5 septembre, l’exemple patriotique du sacrifice pour débarrasser la Guinée des tares politiques contre lesquelles il a « donné sa poitrine ».
La Guinée a certes besoin de béton et de ciment, de grands bâtisseurs et des dirigeants rompus au travail : elle doit conquérir la place qui lui est due dans le concert des nations. Ce qui est urgent, en revanche, c’est qu’elle doit panser ses blessures, explorer son potentiel au profit non pas de l’instant, mais d’opérer un air nouveau, fait de confiance et de dépassement des ambitions personnelles.
Le Président Doumbouya se distingue par sa jeunesse et le temps dont il dispose pour envisager un retour en politique dans des conditions idéales, solidement ancrées dans un héritage démocratique durable. Pour ce faire, il pourrait s’inspirer de la démarche exemplaire d’Amadou Toumani Touré au Mali. Dans un contexte de transition délicate, ce dernier s’était retiré de la scène politique après avoir organisé des élections justes et inclusives, gagnant ainsi le respect de son peuple en tant qu’homme d’État. Dans cet esprit, le Président pourrait renforcer la crédibilité de la transition en prenant des décisions fortes, comme dissoudre un gouvernement, à l’instar de celui de Bah Oury, qui échoue à instaurer un dialogue national sincère et inclusif. De telles mesures enverraient un signal clair de son engagement à respecter les aspirations démocratiques de la nation.
En adoptant une approche qui privilégie un processus électoral transparent et un dialogue politique apaisé, le Président non seulement restaurerait la confiance populaire, mais poserait également les bases d’institutions qui survivent aux dirigeants, parce que solides et durables. Ce choix renforcerait son statut historique, à l’image d’un leader visionnaire, offrant l’espoir d’une Guinée réconciliée avec ses valeurs et tournée vers l’avenir.
À l’instar de Toumani Touré, il pourrait inscrire son nom dans les annales des grands dirigeants africains en plaçant les intérêts de la nation au-dessus des ambitions personnelles. Je soutiendrais toute dynamique en ce sens, car elle représenterait un véritable tournant pour le futur démocratique du pays.
En répondant à cette nécessité, il ne lui sera pas tenu rigueur outre mesure sur le glissement du délai initial de la transition pour permettre aux acteurs à tous les niveaux d’opérer une certaine intelligence et convergence politique pour sauver la Guinée du statu quo. Car, pour l’histoire, il n’est pas question pour le Général de se prêter au jeu politique dans lequel ceux qui lui manifestent aujourd'hui leur allégeance pourraient être les premiers à l’accabler. Ce n’est qu’au prix de cette résurgence morale et politique que la Guinée pourra briser le cycle des impostures et se réconcilier avec son destin démocratique et de prospérité tant promis, mais jamais réellement accompli.
Ali est diplômé en Droit des Affaires de L’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLC-S ). I...
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