À la une, Opinions • 13 juin 2024 • Alpha Amadou DIALLO
⏳ 8 min de lecture
Image source: Les Concernés
Perçu par la plupart de ses usagers comme un fardeau du fait de sa lenteur et de la corruption qui le caractérise, notre service public devient de plus en plus lourd à porter. Dans les secteurs où il existe et fonctionne encore – parce qu’il faut souligner qu’il y a plein de domaines dans lesquels il est carrément inexistant, notamment dans les transports, les loisirs ou encore la culture par exemple –, notre service public est lent, très lent, balbutiant et caractérisé par une corruption incommensurable. Et malgré sa lenteur, sa corruptibilité profonde et son caractère fastidieux pour ses usagers, notre service public coûte très cher, voire excessivement cher pour les citoyens guinéens.
Ils sont tous les jours des milliers voire des millions à former de longues files d’attente sous un soleil ardent devant les guichets des différentes administrations, mairie, poste de police et autres, pour effectuer des démarches administratives. L’objectif, le seul, faire valoir le droit d’obtenir un document ou effectuer tout autre démarche parallèle : demande d’un document d’identité par exemple.
Ces documents, divers et variés – carte nationale d’identité, permis de conduire, extrait d’acte de naissance et/ou encore passeport –, indispensables pour à la fois justifier de manière authentique son identité auprès de l’administration guinéenne elle-même, mais aussi auprès d’autres institutions, imposent un parcours de combattant à qui veut les obtenir.
Cet article a donc pour objectif d’interroger le service public guinéen de démarches administratives de manière générale, notamment dans le traitement que celui-ci réserve à ses usagers. Il s’appuiera en particulier sur les démarches d’obtention du passeport biométrique.
Instauré à partir de 2014, la biométrisation de ce document précieux de voyage a certes apporté de grands changements. Changements remarqués à la fois dans la sécurisation des données personnelles des usagers, et dans la protection des ressources de l’Etat recueillies à travers le coût de sa fabrication.
Toutefois, et c’est sur cet aspect que cet article va davantage insister, cette biométrisation a conduit à la mise en place ou la perpétuation de certaines pratiques peu orthodoxes. Une grande lenteur, un traitement inégal en fonction des contacts et/ou des pots de vin versés auprès de certains agents, une absence totale de décentralisation du service, la presque impossibilité de se le procurer à l’étranger et tant d’autres éléments qui prouvent encore l’inefficacité voire l’ineffectivité de notre service public.
L’envers de la promesse de biométrisation
Au début de l’année 2014, l’Etat guinéen dans le but de lutter contre les faux documents et les fraudes, a procédé à la mise en place de la biométrie des passeports. L’enregistrement des usagers et la protection du document ont été confiés à Louba Services et sa société partenaire IRIS Corporation Berhad, à travers un contrat de prestation de service avec l’Etat guinéen.
L’objectif de la mise en place de ce nouveau système était double. Le premier s’inscrivait dans l’optique de mettre fin aux faux passeports ou la procuration bazarde de ce précieux sésame. Le second était la mise en place d’un système qui permette de mieux sécuriser les fonds de l’Etat recueillis par l’instauration du système de paiement bancaire auprès d’une banque locale.
Cette politique publique a produit un certain nombre d’éléments positifs à la fois pour l’Etat et les usagers, dont entre autres :
D’abord, la sécurisation des données personnelles des usagers et la garantie d’authenticité des documents fabriqués. Les passeports biométriques étant moins facilement falsifiables, par le fait de recueillir les données biométriques des individus, permettent également de lutter contre les doublons, triplons…, chose qui était souvent décriée dans le cas des passeports non biométriques. À cet effet, la mise en place de la biométrie a contribué à la sécurisation de ces documents d’identité.
Ensuite, la mise en place d’un système de paiement dématérialisé auprès d’une banque privée partenaire, Ecobank en l’occurrence, avait pour objectif de sécuriser les fonds de l’Etat recueillis à cet effet. Avec un service de gestion des fonds totalement détaché de celui qui s’occupe de la confection des documents, l’Etat cherchait à mieux sécuriser les ressources qu’il mobilise dans ce secteur, et désengorger les files d’attente au ministère de la sécurité.
Ainsi, en instaurant ces deux premiers éléments – biométrie et paiement dématérialisé –, l’Etat visait la mise en place d’un service public plus efficace, délivrant des documents plus authentiques et sécurisés, dans une procédure au cours de laquelle ses fonds sont mieux protégés. Donc, un service public à la fois plus sûr et moins fastidieux pour les usagers.
Toutefois, si l’on peut bien estimer que ces deux objectifs ont été atteints dans une certaine mesure, d’autres aspects non moins importants restent encore à déplorer.
Pannes techniques répétitives, une concentration absolue des démarches qui ne se font que dans la capitale, des temps d’attente interminables (pour ceux qui n’ont pas les moyens ou des contacts pour corrompre les agents), une quasi inexistence du service à l’étranger (dans les ambassades et consulats)… sont les réalités qui caractérisent encore et très malheureusement les services de la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).
Le côté déplorable des démarches administratives
Il faut souligner que l’obtention du passeport biométrique, au-delà de son coût exorbitant (son coût est supérieur au SMIC guinéen) a beaucoup de manque à gagner.
– Une concentration absolue dans la capitale :
Avec trois centres d’enregistrement à Conakry, Nongo, Matoto et Domino, les démarches d’obtention du passeport biométrique restent exclusivement concentrées dans la capitale guinéenne. Les citoyens, sur l’ensemble du territoire, sont obligés de se déplacer dans la capitale. Aucun service dans les régions et les préfectures ne procède aux enregistrements. C’est à se poser la question de l’intérêt et le rôle de la déconcentration dans cette situation. Il n’existe jusqu’à ce jour aucun centre à l’intérieur du pays. Ce qui oblige donc tous les Guinéens qui vivent en dehors de Conakry à parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour effectuer leurs démarches.
Voilà qui explique donc l’engorgement dans les centres d’enrôlement à Conakry et le temps d’attente très long, jusqu’à 2 mois (en fonction du réseau de chacun. Car il faut souligner que certains l’obtiennent moins de deux semaines après l’enregistrement). Par ailleurs, cela interroge également sur l’égalité de fait entre les citoyens dans le traitement que l’Etat leur réserve. Car dans cette situation, si l’on inclut les frais de déplacement des citoyens de l’intérieur du pays, on comprend que cette démarche leur coûte beaucoup plus chère qu’elle ne devrait.
– Un coût exorbitant :
Le coût officiel du passeport biométrique est de 500.000 francs guinéens. Ce qui est supérieur au SMIC guinéen, qui est quant à lui estimé à 440.000 francs guinéens. Toutefois, ce coût exorbitant n’est pas propre au passeport. Le permis de conduire biométrique par exemple coûte encore plus cher (plus de 900.000 francs guinéens), donc plus que le double du SMIC. On pourrait donc se demander qui décide vraiment du coût de nos papiers d’identité. Est-ce l’Etat, ou les prestataires privés ? Sur quels indicateurs se fondent-ils pour décider que s’identifier doit coûter aussi cher au Guinéen ?
– Les grands oubliés de ce service public :
S’il est très banal de trouver à ce jour des guinéens de l’étranger qui ne connaissent pas la fin de la transition, il est certes très rare voire impossible d’en trouver qui ne connaissent pas E-KAIDI. Plateforme pensée et conçue pour “simplifier” les démarches administratives de ces citoyens vivant loin, très loin des Rivières du Sud, E-KAIDI ne représente qu’un cauchemar pour certains d’entre eux.
Des créneaux de rendez-vous très rarement disponibles au temps d’attente pour l’obtention du document final très long (supérieurs à trois mois dans la plupart des cas), les Guinéens de l’étranger semblent être les grands oubliés du service de la DCPAF. Avec un coût encore plus élevé (en France, c’est 125€ pour le passeport de 5 ans et le double pour celui de 10 ans), ce service continue encore de bloquer des Guinéens dans plusieurs autres démarches administratives : demande de titre de séjour, voyage, demande de visa, etc. Et le comble dans tout ce grand bazar, c’est que le service est très souvent indisponible. Sur ce communiqué de l’Ambassade de France (image ci-dessus) par exemple, on peut constater qu’il n’y a que 50 créneaux disponibles pour une durée de six mois.
C’est à se demander donc à quoi servent réellement les services consulaires de nos ambassades, s’ils ne sont pas en mesure de confectionner le document le plus demandé par les citoyens de la diaspora. A part la délivrance des cartes consulaires à des coûts exorbitants et qui, il faut le rappeler, n’ont pas grande importance car ils ne permettent point de voyager, nos services diplomatiques/consulaires brillent par leur incapacité à fournir aux Guinéens de l’étranger le document d’identité qui leur est plus utile et nécessaire : le passeport. Ce qui fait que la plupart d’entre eux se retrouvent d’ailleurs dans l’obligation de retourner au pays à chaque fois qu’approche la fin de validité de leur passeport pour s’en procurer un nouveau, au risque de rester bloqués dans leurs pays de résidence.
Alpha Amadou est diplômé de Politiques de défense et sécurité à l’université de Versailles Paris-Sac...
Chargement...
Chargement...