À la une, Décryptage • 1 mars 2025 • Mohamed Sylla
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Image source: Les Concernés
En marge du récent Forum économique d’Émergence Magazine, Hamid Camara, le Président de la Commission Économie-Finances du Conseil National de la Transition (CNT), s’est érigé en maître incontesté d’une duplicité flamboyante. Alors même qu’il voulait faire preuve d’audace et d’indépendance d’esprit avec une transition qui entend soumettre tout le monde à sa vision et à ses desiderata politico-prophétiques, Monsieur Camara finit par offrir un spectacle de jonglage rhétorico-politique. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a concocté son discours avec une maestria désarmante, oscillant entre le couperet de la critique et la lyre de l’éloge, sans jamais daigner fouler le sol ferme de la cohérence.
Ballet d’ombres et de lumières
Tel un Janus des temps modernes, il incarne un bicéphalisme aussi grandiose que déroutant : d’une main, il pourfend le projet Simandou 2040, le reléguant au rang de spectre informe, une ambition titanique qu’il juge indigne faute de chiffres gravés dans le marbre ; de l’autre, il s’incline en héraut exalté devant le président Mamadi Doumbouya, chantant avec ferveur les moissons opulentes d’un projet qu’il ose déclarer évanescent. Ce ballet d’ombres et de lumières, loin d’être une révolution dans l’arène des tribunes guinéennes, s’inscrit dans la lignée fastueuse d’un verbiage usé jusqu’à la corde, où le doute brandi en étendard dissimule une indécision souveraine, et où la prudence, drapée d’un voile de sagesse, trahit une réticence à saisir l’éclat d’une vision audacieuse. Son éloquence, si elle scintille par éclairs d’une rigueur apparente, s’abîme dans une trajectoire aussi biaisée que somptueuse : celle d’un artificier du clair-obscur qui, sous le masque de la lucidité, épaissit les ténèbres d’un brouillard dont il est à la fois l’auteur et le complice.
Il est des esprits qui, par malice ou par paresse, s’ingénient à semer la complexité là où règne la simplicité, à insuffler la divergence au cœur même de la convergence, à draper d’ambiguïté ce qui brille de clarté. Dans leurs tribunes, leurs discours, leurs éructations savamment déguisées en sagesse, ils agitent le spectre du doute comme un étendard, prétendant débusquer des ombres là où la lumière éclate au grand jour. Et pourtant ! Quoi que l’on veuille nous faire croire ou “comprendre”, il existe bel et bien, sur le Projet Simandou, un document, un monolithe de plus de quatre cents pages, rédigé dans une langue si limpide qu’un collégien pourrait en saisir l’essence, mais que nos âmes fainéantes, atteintes de cette maladie chronique qu’est l’aversion pour la lecture – pire encore, pour la compréhension –, relèguent dans l’oubli. Faut-il donc que notre faiblesse nous condamne à réinventer des énigmes là où les réponses s’offrent à nous, nettes, précises, irréfutables ? Non ! Le moment est venu de défaire ces artisans du chaos, de trancher les voiles de leurs artifices et de rendre à la réalité son règne éclatant. Car ce n’est pas la vision qui tremble dans ses contours ; c’est notre hardiesse qui fléchit face à sa grandeur.
Mais parlons-en, puisque c’est notre silence et notre assentiment forcé ou suspect qui donnent un air de vérité à ces élucubrations et confusions qui font la pluie et le beau temps sous nos cieux. Dans l’histoire d’un peuple, il arrive que les mots, par leur densité ou leur fragilité, sculptent le destin avec une force que les actes eux-mêmes peinent à égaler. Hamid Camara, dans son ball d’incohérence et d’audace factice au forum d’Émergence Magazine, n'a fait qu’émettre une opinion : il a surtout lancé une pierre dans le jardin d’une ambition nationale, celle de Simandou 2040. Et il l’a fait dans une pensée tiraillée entre une prudence honorable et une perplexité désarmante. Ses propos, à la fois acérés et chancelants, exigent une dissection sans complaisance – non pour les encenser ou leur faire un mauvais procès, mais pour les soumettre à l’épreuve de la rigueur, de la justesse et de la factualité. Car, loin de n’être qu’une querelle sémantique, cette critique soulève une question fondamentale : peut-on juger une vision sans l’avoir pleinement saisie ? Et, plus encore, peut-on la disqualifier en s’appuyant sur des ombres plutôt que sur des lumières ?
Le mirage d’une absence : une lecture hâtive ou une cécité volontaire ?
Avec une assurance qui frôle l’aplomb, il affirme que « le Programme Simandou 2040 n’existe pas pour le moment. » Cette sentence, taillée comme un couperet, prétend anéantir une entreprise pourtant inscrite dans les discours officiels, les stratégies nationales et les projections économiques portées par le président Mamadi Doumbouya. Mais sur quoi s’appuie cette audacieuse négation ? Sur l’absence, clame-t-il, d’un document ciselé, chiffré, palpable – un programme dont on ignorerait le coût exact, le nombre de projets, l’horizon précis. « On ne sait pas si c’est cent huit mille milliards », a-t-il lancé, comme si ce flou suffisait à réduire l’édifice en poussière.
Or, si elle peut séduire par son apparente rationalité, cette critique s’effrite dès qu’on la confronte à la réalité des textes et des faits. Ayant exploré l’intégralité des textes et des données liés au Projet Simandou et à la vision Simandou 2040, je puis affirmer que la confusion que dénonce Hamid Camara est moins dans les fondations du programme que dans les lunettes troubles de son propre regard. Le Projet Simandou – ce titan minier aux 650 kilomètres de rails, son port en eau profonde, ses 20 milliards de dollars d’investissement, porté par des géants comme Rio Tinto ou Winning Consortium – est une réalité distincte. Simandou 2040, lui, est un horizon plus vaste, une ambition qui transcende l’extraction brute pour féconder l’agriculture, l’éducation, les infrastructures, l’industrie – une sève destinée à irriguer la nation entière. Confondre les deux, comme il a fait en s’appuyant sur une tribune gauche d’un collègue, c’est méconnaître la distinction entre le levier et le dessein, entre la mine et la nation qu’elle doit servir.
Mais de quel malentendu parle-t-on ?
« Ça pose déjà un problème de compréhension », martèle-t-il, non sans proposer de rebaptiser le programme en « Guinée Vision 2040 » ou « Guinée Émergence 2040 » à l’image des voisins – Côte d’Ivoire et Sénégal, ou même le Rwanda de Paul Kagamé – dont les intitulés ronflants flatteraient, selon lui, une clarté bien commode. Mais quel brouillard cherchait-il à dissiper ? Celui, nébuleux, entre le projet minier et l’élan de développement ? Ou celui, plus profond, d’une Guinée qui oserait ancrer son avenir dans une ressource tangible plutôt que dans une abstraction universaliste ? Faute de précision, son raisonnement titube : il agite l’épouvantail de l’amalgame sans jamais en tracer les lignes.
Loin d’être une faiblesse, « Simandou 2040 » porte une puissance tellurique, une promesse incarnée. Simandou n’est pas une simple mine ; c’est le cœur battant d’une Guinée qui, lasse des mirages passés, veut faire de ses entrailles un levier de métamorphose. Comme le Botswana s’est hissé sur ses diamants, comme le Rwanda s’élance sur les ailes de la technologie, la Guinée brandit son fer – un gisement parmi les plus riches du globe. Pourquoi, alors, singer servilement les voisins en noyant cette singularité dans une étiquette fade ? Là où « Simandou 2040 » clame une ambition ancrée dans le réel, un défi lancé au sous-développement par la force d’une ressource maîtrisée, « Guinée Vision 2040 » sonne comme un slogan creux, une réflexion sans réflexion. L’amalgame, s’il existe, n’est pas dans le nom, mais dans l’incapacité de certains à lire au-delà des mots.
Une analyse boiteuse : le piège de la tribune et l’oubli des références
Ce qui sidère dans cette posture, c’est la propension de Monsieur Camara à s’appuyer sur une tribune – un texte d’opinion, par essence subjectif – pour étayer une critique qui se veut rigoureuse. « Il y a deux jours, je lisais la tribune d’un collègue intitulée ‘le Programme Simandou 2040’, mais tout repose sur le Projet Simandou », déplore-t-il. Ainsi, plutôt que de se référer aux documents officiels – rapports du comité stratégique, discours présidentiels, études de faisabilité –, Hamid Camara préfère s’en remettre à une interprétation seconde, comme si une tribune pouvait tenir lieu de miroir fidèle. Cette approche, pour le moins légère, trahit une pensée qui, sous couvert de prudence, s’égare dans l’anecdotique.
Les fondations, pourtant, sont là. Simandou 2040 se déploie sur cinq piliers majeurs : agriculture, industrie, éducation, infrastructures, santé. Ce n’est pas une fantasmagorie improvisée, mais une constellation d’objectifs visant à transmuter les richesses minières en legs durables – un fonds souverain, des écoles techniques, des artères asphaltées, une industrie naissante. Que ces ambitions ne soient pas encore gravées dans un marbre chiffré ne signifie pas qu’elles sont illusoires ; cela traduit la gestation d’un colosse dont les contours s’affinent au rythme des alliances et des avancées. Le taxer de chimère, c’est mépriser la dynamique qui l’anime. Comme le disait Nietzsche : « Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile dansante. » Simandou 2040 est ce chaos créateur, cette étoile en devenir.
La tentation de la fausse louange
Plus déroutant encore, après avoir fustigé le programme Simandou, l'Honorable Hamid a tenté de rectifier son tir raté dans une tribune de seconde main où il s’est donné pour but principal de chanter les louanges du président Mamadi Doumbouya, cet « architecte d’un accord historique ». Il y énumère les « 12 avancées majeures » du Projet Simandou – redevances juteuses, infrastructures polyvalentes, contenu local, capitaux chinois – et exalte une vision souveraine. Comment réconcilier ce panégyrique avec son scepticisme initial ? Si le programme « n’existe pas », d’où jaillissent ces fruits ? Cette pirouette, loin d’étayer le propos de Monsieur Camara, le fragilise. Elle trahit une pensée bancale, un esprit qui oscille entre rejet et fascination sans jamais s’ancrer.
Cette incohérence, qu’on pourrait nommer « valse des convictions », met à nu une faille : notre auteur dénonce un vide tout en célébrant ses résultats. Si le Projet Simandou, sous l’égide du président, devient un étendard de maîtrise économique, comment prétendre que Simandou 2040, son prolongement naturel, ne soit qu’un mirage ? Monsieur Camara s’emmêle donc dans ses propres paradoxes, incapable de saisir la cohérence d’une vision qui défie les cadres étriqués pour s’élever vers l’audace.
Le refus de l’oubli : un peuple qui se souvient forge son éternité
Au-delà des querelles de forme et des hésitations d’un esprit partagé, Simandou 2040 incarne une rupture avec l’amnésie qui a trop longtemps enchaîné la Guinée. Ce n’est pas un simple programme ; c’est une mémoire qui se réveille, un peuple qui refuse de plier sous le poids des espoirs trahis. Longtemps, les richesses de cette terre ont été pillées ou laissées en jachère, tandis que les promesses s’effilochaient dans le vent. Aujourd’hui, Simandou 2040 se dresse comme un acte de foi, une réappropriation de ce qui fut volé – non par la force brute, mais par la puissance d’une vision qui ose dire : « Nous sommes plus que nos blessures. » Ce pari dépasse les chiffres et les plans ; il touche à l’essence même de l’identité nationale.
Lorsque Frantz Fanon écrivait : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », il parlait de moments comme celui-ci. Simandou 2040 n’est pas une option parmi d’autres ; c’est la mission d’une génération qui, face au gouffre du passé, choisit de bâtir un pont vers l’avenir. Le réduire à une équation comptable, c’est ignorer le cri qu’il porte : celui d’une Guinée qui, enfin, se souvient d’elle-même pour s’inventer demain. C’est là sa grandeur, là son impératif : un peuple qui se lève ne craint ni les ombres ni les doutes.
La grandeur d’un pari : refuser la petitesse pour embrasser l’épopée
Au cœur de cette critique réside une tentation réductrice : celle de ramener une ambition titanesque à des normes étroites. En pressant la Guinée d’imiter les « Visions » voisines, on sous-estime la force d’un programme qui ose lier son destin à un symbole tangible, une renaissance forgée dans le fer. Simandou 2040 n’est pas une obsession étroite, comme semble le craindre Hamid Camara en alertant contre le péril de « tout miser sur un seul projet ». C’est une brèche vers la diversification, un rempart contre la malédiction des ressources, un levier pour hisser la nation vers des cimes nouvelles. Les modèles qu’il cite – la Côte d’Ivoire avec son cacao, le Rwanda avec ses circuits numériques, le Botswana avec ses gemmes – n’infirment pas l’épopée de Simandou 2040 ; ils l’illustrent. Chaque peuple a bâti son rêve sur un socle solide. Pourquoi la Guinée devrait-elle rougir de brandir son fer comme un étendard ?
Non, l’amalgame n’est pas dans le programme, ni dans son nom. Il est dans un regard myope qui traque les lacunes sans voir l’horizon, qui exige des chiffres là où il faut d’abord sentir un souffle. Simandou 2040 existe – non comme un parchemin figé, mais comme une flamme en marche, un pari sur l’avenir. Le travestir en slogan fade ne clarifie rien, ça étouffe au contraire son feu. « Les grands peuples se reconnaissent à leurs grandes œuvres », écrivait Chateaubriand. Et la Guinée, avec Simandou 2040, ne s’imite pas : elle se réinvente. À trop vouloir copier, on s’efface. À l’heure des choix décisifs, notre pays doit, plus que jamais, se dresser dans sa propre lumière.
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