À la une, Culture, Opinions • 13 février 2025 • Ali Camara
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Image source: Les Concernés
Il y a quelques semaines, une information circulant dans la presse guinéenne faisait état de menaces de poursuites judiciaires, d’arrestation, voire d’enlèvement visant Tierno Monénembo en raison de ses écrits. Bien que celui-ci, fidèle à sa réputation, ait répondu d’une plume acerbe en affirmant : « Ma gueule reste ouverte, seule la mort la fermera », j’ai ressenti un étonnement certain en constatant que certains de nos compatriotes semblaient considérer cette situation avec une inquiétante indifférence, la jugeant presque banale et acceptable.
Je ne saurais dire si l’information concernant la nature exacte de la menace était fondée ou si elle relevait de ces rumeurs qui, malheureusement, prolifèrent fréquemment en Guinée. Quoi qu’il en soit, qu’on soit ou non d’accord avec Tierno Monénembo, il est impensable de persécuter un intellectuel ou de susciter chez lui la peur, car cela va à l’encontre des principes fondamentaux de la liberté de pensée. Le véritable progrès ne réside pas dans la répression, mais dans la possibilité d’un dialogue éclairé, dans lequel la diversité des opinions, loin de se heurter, peut au contraire se nourrir et s’épanouir. Pour une nation en quête d’une refondation authentique, il est inconcevable que la censure puisse être envisagée comme une réponse légitime à la pluralité des voix. Ce qu’il nous faut, c’est un débat pluraliste, ouvert et serein, fondé sur les principes républicains, capable d’apaiser les tensions et d’ouvrir des perspectives.
Ce qui donne raison à Tierno Monénembo, ce n’est pas tant la vérité historique qu’il croit détenir, mais plutôt le fait que, face à la crise des valeurs dans notre société et à l’imposture politique persistante, il est difficile de le contredire dans un environnement où la parole publique est devenue une décharge et où l’on espère construire l’avenir sur des mensonges et de la duperie. Lorsque ceux qui sont censés guider les masses populaires n’ont plus de parole d’honneur, toute promesse de changement ne reste qu’une chimère. Dans un pays en proie à la démagogie ambiante, à la perfidie, l’hypocrisie et la corruption institutionnelle, où finalement le mérite est la dernière chose qui compte, tout change pour que rien ne change. Pour paraphraser la célèbre boutade de Maurice Thorez, “ Entre le choléra et la peste, on ne choisit pas”. Il ne reste alors que la résistance ou la perdition.
Mais il serait réducteur de ne pas souligner que Monénembo, longtemps figure de proue de l’anti-système en Guinée, s’est progressivement laissé emporter par la tentation du militantisme politique. Ce qui était autrefois un engagement porteur d’une vision critique et novatrice s’est aujourd’hui mué en une posture polémique et unilatérale, figée dans un discours répétitif qui perdure depuis plus de quarante ans.
En effet, au fil des décennies, Tierno Monénembo ne semble pas avoir évolué. Il est devenu le symbole d’une sclérose intellectuelle : une pensée enfermée dans des schémas rigides, incapable de se renouveler. Prisonnier d’une vision réductrice de notre histoire politique, il a sacrifié la possibilité même de nourrir la réflexion sur les défis contemporains, se réfugiant dans une rengaine répétitive, qui malheureusement semble sans fin. Cette posture ne répond plus aux exigences d’un monde en perpétuelle mutation.
Pour notre génération, marquée par l’obsession du passé et obnubilée par des querelles anciennes, l’immobilisme et l’esprit réfractaire de l’auteur de Les Crapauds-brousse au dialogue renouvelé, dynamique et novateur, apparaissent comme des reliques d’une époque révolue. Il est devenu une figure lourde, qui, loin d’offrir des clés de compréhension et de réconciliation, semble incarner une forme de stagnation intellectuelle. Son discours, figé et répétitif, ne saurait répondre aux défis complexes et multiples de notre époque. Pour nous, il est devenu un poids dont il nous faut nous affranchir pour pouvoir avancer. Il ne peut plus rien pour nous, et hélas, nous ne pouvons plus rien pour lui.
Car au fond, le dilemme de nos héritages idéologiques, bien que légitime, ne doit pas devenir un obstacle à notre capacité de nous projeter dans l’avenir. L’enjeu réside dans notre aptitude à dépasser les blessures du passé, non pas en les niant, mais en en tirant les leçons nécessaires pour bâtir un avenir commun. Nous devons nous efforcer de dépasser les logiques figées et de concevoir un monde capable de répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain, dans un esprit d’ouverture et de réconciliation. Le véritable défi consiste à forger une nouvelle pensée, libre des entraves du passé, mais éclairée par lui, et qui puisse nourrir notre quête collective de sens et de progrès.
Ali est diplômé en Droit des Affaires de L’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLC-S ). I...
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